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causant peu, elle aimait les causeurs, voire même les bavards. Les histoires les plus folles, les plus impossibles, racontées avec verve, la faisaient rire aux larmes, et les conteurs de ces blagues insensées étaient de tous ceux qui avaient auprès d’elle le plus de succès. Chez Mme Sand l’impression première était toute puissante. À première vue, on lui plaisait ou on lui déplaisait. C’est ainsi que le plus souvent elle jugeait son monde. Bien rarement revenait-elle sur ses jugements ainsi portés. Cette manière d’apprécier ses semblables expose à bien des erreurs, car outre que les apparences sont trompeuses chez un grand nombre d’individus, celui-là même qui procède ainsi jugera différemment un jour qu’un autre la même personne suivant qu’il sera plus ou moins lucide, ou qu’il sera sous l’impression de la souffrance, de la contrariété, du bien-être, de la joie, etc.

Ce n’est pas trop sa faute, après tout, si elle était ainsi faite, elle agissait d’instinct et en quelque sorte malgré elle. Dans une organisation aussi éminemment impressionnable que l’était la sienne, l’impression était maîtresse du raisonnement de même que le sentiment devait l’emporter quelquefois sur la raison. »

Nous nous contentons de citer cette observation du Dr Pestel, nous abstenant de la contredire ou de la confirmer.

Après le dîner tous les habitants de Nohant se rendaient dans le vaste salon Louis XVI gardé tel qu’il était au temps de l’aïeule de Mme Sand, et s’asseyaient « autour de la table », énorme table ovale, confectionnée par Pierre Bonnin[1]. Les uns faisaient une partie de dominos, les autres jouaient aux échecs, d’autres encore dessinaient ou peignaient à la détrempe. On parlait du nouveau roman de Flaubert, de la dernière pièce de Dumas ou de Cadol, du livre de Darwin ou de Renan. Et des discussions ardentes et bruyantes s’élevaient, tandis que Mme Sand, aidée de Lina, cousait des robes d’enfants ou des costumes pour les marionnettes. Durant toute sa vie, jusqu’à son dernier jour, Mme Sand garda l’habitude de ne jamais rester oisive ; d’autre part elle conserva aussi cette adresse des mains, héritée de sa mère, pour toutes sortes de petits travaux et de procédés manuels. Elle faisait beaucoup de broderies[2], aidait Maurice à classer ses

  1. Voir plus haut, chap. xi.
  2. Nous possédons une pelote brodée par George Sand et représentant, sur un fond rose, une chimère — la devise de Nohant — le « château de la Chimère ». (Voir plus haut chap. xi.)