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tion, un principe de subsistance, c’est beaucoup dire ! Cette admirable cervelle a touché, je le crains, la limite que l’humanité peut atteindre. Entre le génie et l’aberration, il n’y a souvent que l’épaisseur d’un cheveu. Pour moi, après un examen bien sérieux, bien consciencieux, avec un grand respect, une grande admiration et une sympathie presque complète pour tous ses travaux, j’avoue que je suis forcée de m’arrêter, et que je ne puis le suivre dans l’exposé de son système. Je ne crois pas d’ailleurs aux systèmes d’application a priori. Il y faut le concours de l’humanité et l’inspiration de l’action générale. Enfin, lisez et dites-moi si j’ai tort et si vous le croyez dans le vrai. Je tiens beaucoup à votre jugement. J’en ai même besoin pour sonder encore le mien propre. Je vous demande donc de donner deux ou trois heures à cette lecture, et d’en consacrer encore une ou deux, s’il le faut, à résumer pour moi votre opinion. Ne craignez pas de me faire payer un gros port de lettre. Je n’ai pas encore discuté avec Leroux ; j’étais tout occupée de l’écouter et de le faire expliquer. Et puis il était aujourd’hui dans une sorte d’ivresse métaphysique et il n’eût rien entendu.

Malgré cela, lorsque Leroux dut, après le coup d’État de 1851, fuir avec ses frères à Londres, puis se fixer à Jersey, il continua à adresser des demandes d’argent à Mme Sand, toujours avec sa confiance et son laisser aller enfantins, et George Sand, comme par le passé, témoigna envers son maître le même sentiment d’attachement filial que les femmes pieuses, à l’aube du christianisme, professaient pour les apôtres. Mme Sand semble s’être crue obligée d’aider Leroux à porter le fardeau de la vie matérielle ; toutes les lettres de Leroux et de sa famille datées de cette époque ne présentent que des variations sur le thème « : Aidez-nous, sauvez-nous », ou sont remplies par des expressions de gratitude pour ce secours prêté. C’est ainsi que nous apprenons qu’en 1852, George Sand, ayant appris par un ami commun[1] que Leroux se trouvait à Londres dans une position difficile, lui fit immédiatement passer de l’argent : il répondit ainsi (la lettre est écrite déjà de Jersey) :

  1. Ce fut probablement Gustave Sandre, avec lequel Pierre Leroux avait, en 1843-44, débattu, comme avec le représentant de la maison Potter, les points du traité à propos d’une édition de Mme Sand, et qui, plus tard, fut son ami et son adepte.