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les mots : « Me voilà encore une fois dans la forêt, seule avec mon fils… » Dans cette lettre de 1837, en se souvenant, au milieu des rochers et des arbres gigantesques de la forêt, des pages de Senancour consacrées à la description de Fontainebleau et en notant la tendance de Senancour, commune à beaucoup de personnes, de toujours être mécontent de la nature qu’on voit, de ne pas la trouver assez belle, de toujours comparer quelque chose de minuscule, de gracieux, de doux, au grandiose, au vaste, au heurté, de s’attendre au futur, ou de se rappeler, au passé, des impressions extraordinaires, et de laisser passer inaperçu, sans l’admirer durant la minute présente, le vrai beau, — on se prive ainsi de vraies jouissances, on gâte la fraîcheur de ses impressions, — George Sand reconnaît pourtant qu’elle a toujours aimé Obermann et Senancour, « ce génie malade » :

« Je l’aime encore ce livre étrange, si admirablement mal fait ! Mais j’aime encore mieux un bel arbre qui se porte bien. Il faut de tout cela : des arbres bien portants et des livres malades, des choses luxuriantes et des esprits désolés ! Il faut que ce qui ne pense pas demeure éternellement beau et jeune, pour prouver que la prospérité a des lois absolues en dehors de nos lois relatives et factices qui nous font vieux et laids avant l’heure. Il faut que ce qui pense souffre, pour prouver que nous vivons dans des conditions fausses, en désaccord avec nos vrais besoins et nos vrais instincts. Aussi toutes ces choses magnifiques qui ne pensent pas donnent beaucoup à penser… »

Un peu plus haut, elle raconte que, passant des journées entières au grand air, elle n’avait plus que la nuit pour écrire et elle ajoute :

Pour le reste je vis de la vie rationnelle. Je vis dans les arbres, dans les bruyères, dans les sables, dans le mouvement et le repos de la nature, dans l’instinct et dans le sentiment, dans mon fils surtout qui était malade et qui guérit à vue d’œil…

Ayant donc relu avec Manceau cette page vieille de vingt-six ans, George Sand reprend sa dispute avec lui :

Croire que l’on puisse, par la force de sa volonté et de son esprit, se séparer de la vie universelle, se mettre au-dessus des passions, des