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curcir sous de gros nuages, parfois fort vilains, comme notre ami S…, par exemple. Mais ce qui consternait l’âme délicate et exquise de Chopin ne m’ébranlait nullement. Depuis longtemps j’ai appris à attendre et je n’ai pas attendu en vain. Pierre Huguenin est resté parmi les fictions, mais l’idée qui m’a fait rencontrer le type de Pierre Huguenin n’en était pas moins une conception de la vérité. Vous êtes autre et vous êtes mieux. Vous êtes poète, donc vous êtes plus richement doué et vous êtes plus homme que lui. Vous n’avez pas cherché l’idéal de l’amour dans une caste ennemie. Tout jeune vous avez aimé votre égale, votre sœur, et vous n’avez pas eu besoin du prestige des faux biens et de la fausse supériorité, pour vous éprendre de la simplicité, de la candeur, de la beauté vraie. Enfin, vous voyez aussi loin que lui et vous puisez vos joies, vos émotions, votre force dans un milieu plus réel et plus sain…

Les susdits critiques de courte vue avaient donc inutilement crié haro sur l’irréalité du héros principal de ce roman. D’autres, analysant le roman plus attentivement, mais presque exclusivement au point de vue de l’intrigue amoureuse, trouvaient en toute justesse qu’il était « gâté par les divagations philosophiques de Huguenin » ; mais ils se trompaient en ajoutant : « et par la peinture des usages des compagnonnages… ». Enfin, un de nos compatriotes est tombé dans une autre extrémité, il pèche par excès de tendances en déclarant que les relations entre les deux héros principaux présentent un intérêt tout particulier par leur mépris de la richesse et par leur discours contre elle[1]. Vidée qui inspirait l’auteur força le critique à fermer les yeux sur tous les défauts de l’exécution. Cette donnée générale du roman — le rapprochement des classes, la tendance à se faire a simple », à devenir « peuple » — était très répandue dans certains milieux russes, contemporains du critique nommé, elle y créa toute une série d’existences très originales. C’est pour cela que M. Skabitckewski porta aux nues l’aristocratique demoiselle Iseult de Villepreux, éprise du menuisier prolétaire Huguenin. M. Caro déclare bien plus judicieusement que la figure d’Iseult est mal réussie, pâle et même, histo-

  1. M. Skabitchewski dans ses articles sur George Sand, dans les Annales de la Patrie de 1881.