George Sand, sa vie et ses œuvres/4/10


CHAPITRE X

LE THÉÂTRE DE GEORGE SAND

Gabriel. — Les Mississipiens. — Cosima. — François le Champi. — La Commedia dell’ arte et les Marionnettes à Nohant. — Le Château des Désertes. — L’Homme de Neige et Narcisse. — Le Roi attend. — Molière et Mariette. — Claudie. — Le Pressoir. — L’époque théâtrale à Nohant (1860-1856). — Maître Favilla et deux lettres de Charles Baudelaire. — Le Mariage de Victorine. — Les Vacances de Pandolphe. — Mont-Revêche et le Démon du foyer. — Françoise. — Comme il vous plaira et Rouvière. — Lucie. — Pièces tirées de romans : Mauprat, Flaminio, Les Beaux messieurs de Bois-doré. — Le Pavé. — Le Drac. — La Nuit de Noël. — Marguerite de Sainte-Gemme. — La Laitière et le pot au lait. — Un bienfait n’est jamais perdu. — L’Autre.


C’est Gabriel qu’il faut considérer comme le premier essai de George Sand dans l’art dramatique, quoiqu’elle l’ait intitulé simplement « roman dialogué ». Ne voulant pas reprendre une seconde fois l’analyse de cette pièce, nous récapitulerons seulement ce que nous en avons dit dans notre volume II[1], nous trouvons que par ses qualités littéraires, autant que par la puissance de son action dramatique cette œuvre mérite d’être jouée bien plus que beaucoup de pièces de George Sand les plus prônées. Rappelons que Balzac, aussi, avait prié l’auteur de mettre ce drame en scène. On a retrouvé dans les papiers de George Sand une ébauche de scénario tiré de Gabriel. Mais cette pièce ne fut jamais jouée. On nous a dit que Mme Sarah Bernhardt avait eu l’idée de jouer Gabriel, que M. Henri Amic avait essayé de l’arranger pour le théâtre. Mais puisque ces projets restèrent inexécutés nous exprimons le vif désir de voir jouer un jour Gabriel, sans changement aucun, rien qu’avec quelques coupures peut-être. Nous désirons surtout qu’on garde intact le sombre et poétique dernier acte avec cette scène émouvante où, après le monologue de Gabriel-Gabrielle, dont la douleur et le désespoir aboutissent à une indifférence générale, à une apathie absolue, Gabrielle meurt assassinée. Ce dénouement émeut ; il doit satisfaire le spectateur, parce qu’il apparaît comme une nécessité : Gabrielle ne peut plus vivre, elle a vécu tout ce qu’un cœur humain peut supporter, il ne lui reste plus de force. Si ce bravo ne la tuait pas par méprise, elle mourrait quand même, elle attraperait une maladie, un coup de vent l’emporterait, le plus petit ruisseau suffirait pour la noyer, car le souffle de vie, l’esprit qui fait lutter et se défendre, ne l’anime plus. Elle est donc à la merci du moindre hasard. Nous conseillerions beaucoup à l’auteur qui voudrait mettre Gabriel à la scène de ne rien retoucher à ce dernier acte, de ne le point gâter par des arrangements, et nous sommes sûr que tous les spectateurs seront de l’avis de Balzac.

La seconde pièce de George Sand fut un proverbe : Les Mississipiens. Nous avons dit ailleurs[2] quels types incomparables présentent le vieux duc et la marquise de Puymontfort. Ce sont des portraits vivants. C’est au milieu des personnages de ce grand monde à son déclin que s’écoulèrent les premières années d’Aurore Dupin chez son aïeule Marie-Aurore de Saxe, dans son élégant petit salon rue des Mathurins et plus tard rue Thiroux, George Sand prétendit qu’ayant entrepris le prologue des Mississipiens, avec l’intention d’en faire une pièce de théâtre, la donnée lui parut peu convenir à la scène, l’action assez embrouillée se passant au temps de John Law, la passion de l’argent et l’affolement de la spéculation dominaient son sujet plus qu’il ne lui plaisait. Plus tard, cependant, Balzac composa son Mercadet sur une donnée semblable, mais il la modernisa, Mme Sand intitula donc ses Mississipiens « nouvelle dialoguée ». Malgré cette réserve les Mississipiens appartiennent certainement à la littérature dramatique, et nous partageons entièrement l’avis de M. Caro qui prétend que Gabrielle, les Sept cordes de la lyre et les Mississipiens sont comme un spectacle idéal que Mme Sand a donné à son imagination. C’est pour cela qu’ils demeurent étroitement liés à toutes ses œuvres dramatiques : ce sont ses premiers essais.

La troisième œuvre dramatique de George Sand : Cosima, fut certainement écrite pour être jouée. Ce drame dont le sous-titre est la Haine dans l’amour fut, comme nous le savons déjà, représenté en avril 1840. Au dire de Heine, la pièce n’obtint qu’un succès d’estime ; il écrivit même plus tard et non sans raison que ce fut un vrai four. Et ce fut justice. Quoique George Sand déclarât, dans sa Préface, que le froid accueil du public n’était nullement mérité, et qu’elle défendît son droit d’essayer une manière, de faire une pièce qui intéresserait non pas par des coups de théâtre et de grands effets de situations, mais par l’analyse seule de sentiments intimes, de petits événements de famille, et quoique George Sand elle-même d’une part et de l’autre le célèbre critique éreinteur Senkowski, qui se divertit extrêmement à la lecture de cette nouvelle œuvre de Georgius Sand » aient démontré que Cosima était bien la propre sœur d’Indiana et de Lélia, — mais idée et exécution, vouloir et pouvoir sont deux. Faisant montre comme Gabriel d’un boursouflage de style et d’un romantisme outré, rappelant toutefois comme Gabriel encore, certaines pièces de Hugo et de Musset, Cosima nous paraît notamment une œuvre de pure convention théâtrale, irréelle, ennuyeuse.

L’insuccès de Cosima fit pour longtemps abandonner le théâtre à George Sand, mais M. Caro a encore raison de dire que « cet effort infructueux avait irrité sa passion du théâtre plus encore qu’il ne l’avait découragée ».

Et voici qu’un beau soir d’automne de 1846, alors que toute la famille de Nohant passait la veillée dans le grand salon, tandis que Chopin pianotait en sourdine une de ses œuvres inachevées, au bruit des conversations, et que Mme Sand cousait près de la table, la jeunesse soudain eut l’idée de se costumer. Aussitôt dit, aussitôt fait. Tous disparurent. Une demi-heure après, le vieux salon Louis XV fut envahi par une bruyante compagnie : marquis, hidalgos, ogres, pierrots, soubrettes et princesses. À peine le grand pianiste s’en aperçut-il, que sans perdre une seconde, il attaqua un boléro improvisé, au son duquel tous ces soi-disant Espagnols et Gitanos se mirent à exécuter les pas les plus fantastiques que l’on puisse imaginer. Puis, vint un autre air de ballet ; de nouvelles danses s’improvisèrent. Et l’artiste de génie et les jeunes danseurs se sentirent grisés par leur succès. Le lendemain, le spectacle improvisé recommença : le corps de ballet de la veille hasarda plusieurs soli et même quelques scènes mimées, tantôt drôles, tantôt sentimentales. Dès que l’un des danseurs changeait de costume, confectionné avec autant de spontanéité que de simplicité (quelques défroques de couleur en faisaient les frais), aussitôt Chopin adaptait son jeu à ce nouvel aspect du danseur, et cette nouvelle improvisation inspirait à son tour quelque nouveau pas aux jeunes disciples de Terpsichore[3]. On se mit à jouer des pantomimes entières accompagnées par cette adorable musique. Puis, on exécuta, outre les danses, des scènes dialoguées improvisées. Lorsque Chopin reprit ses leçons à Paris, on continua pendant quelque temps les danses, Mme Sand s’étant chargée du piano ; puis on abandonna les danses et on s’adonna à de vrais spectacles dans le genre de l’ancienne commedia dell’ arte italienne, on joua des pièces improvisées d’après un scénario arrêté et discuté d’avance par tous les acteurs. Bientôt on ne pensa et on ne parla plus d’autre chose à Nohant. Généralement le sujet de la pièce du soir était débattu pendant le dîner : l’un ébauchait un scénario, les autres son développement, on rejetait une idée, on en proposait une autre et le soir ou le lendemain on jouait[4]. La troupe primitive grandit bientôt. Emmanuel Arago y débutait pendant ses vacances en 1846. L’imprésario, c’est-à-dire Maurice Sand, envoyait une invitation aux Duvernet père, mère et fille, ou aux Dutheil, père et deux fils. Quant à Mme Sand, comme nous l’avons dit au chapitre vi, de spectatrice elle devint actrice et joua les rôles les plus divers : jeunes premiers, jeunes premières, pères nobles, sorciers et reines[5]. Dans le premier des deux grands albums de Maurice Sand, qui demeurent comme une histoire du théâtre de Nohant magnifiquement illustrée, nous trouvons plusieurs lavis à l’aquarelle, représentant George Sand dans différents costumes d’homme et de femme. Nous donnons la reproduction de celui qui la représente dans le rôle de Pietro Colonna dans Une nuit à Florence. Mais c’est certainement dans le Château des Désertes, dont nous avons aussi parlé plus haut[6], que l’on trouve l’écho le plus fidèle de ces spectacles improvisés, de leurs préparatifs et des débats qui précédaient chaque représentation, relatifs au scénario, au caractère général de chaque rôle et aux analyses critiques des œuvres littéraires qui servaient de trame à ces pièces improvisées.

Puis les années 1847 et 1848 arrivèrent et tous les spectacles prirent fin. La gaie Augustine, la belle Solange, Fernand des Préaulx, Arago, Borie, n’étaient plus à Nohant. Mais lorsque Mme Sand se retrouva dans sa vieille maison, ce fut encore l’art dramatique, cette fois sous la forme des marionnettes, qui consola l’illustre femme, que le drame survenu dans sa vie privée et la tragédie politique connue sous le titre de « révolution de 1848 » laissaient désespérée. Maurice Sand, esprit si prompt à créer et à mettre debout une œuvre artistique, voyant le visage de sa mère constamment assombri et la sachant passionnée de théâtre, eut recours, pour la distraire, à cette passion favorite. (Le lecteur se soutient que l’arrière-petite-fille de Mlle de Verrières s’amusait dès l’âge de douze ans à arranger des pièces de Molière pour les représentations du couvent des Anglaises.)

Un soir Maurice se cacha avec son ami Lambert derrière le dos d’un grand fauteuil, habilla ses mains d’un mouchoir et fit son début d’imprésario de Guignol, en jouant à l’aide de ses dix « petits Poucets » une vraie petite comédie. Et comme il possédait un véritable talent d’improvisation, il mit dans cette petite pièce tant d’entrain, de verve, de gaieté que non seulement il fit

Illustration

rire sa mère jusqu’aux larmes, mais qu’elle y prit un plaisir sérieux.

Le lendemain, Maurice confectionna quelques marionnettes en bois sommairement taillées et habillées de chiffons. Peu à peu il se composa toute une petite troupe d’acteurs, joua d’abord derrière le classique paravent — cette rampe consacrée du Guignol — ensuite construisit un vrai petit théâtre.

Ses petits acteurs n’étaient point de vulgaires et stupides fantoches se ressemblant tous, dont on tire les bras et les jambes avec des ficelles. Les marionnettes de Maurice Sand avaient toutes une physionomie très marquée, justement adaptée au type qu’elles devaient personnifier. Elles ne se mouvaient point à l’aide de fils ni d’aucune mécanique et n’étaient point dirigées d’en haut : Maurice Sand se tenait au-dessous des tréteaux, comme le patron du Guignol forain, et passant son index dans l’intérieur de la tête de la marionnette, son pouce dans l’un de ses bras et le grand doigt dans l’autre, il dirigeait à son gré les mouvements des petites poupées qui semblaient sous ses doigts des êtres animés. Il savait changer sa voix suivant les personnages qu’il faisait mouvoir. Et comme lui et Lambert ne jouaient point seulement l’éternelle histoire de Pierrot, mais tantôt quelque drame romantique, tantôt une folle bouffonnerie italienne, la troupe était fort nombreuse. Aussi lorsque l’un des acteurs achevait sa tirade et qu’un autre, et quelquefois plusieurs autres personnages, entraient en scène, Maurice accrochait prestement sa petite poupée à un piton se trouvant au fond de la scène, de sorte qu’il pouvait entrer en scène autant de personnages à la fois qu’il était nécessaire à l’action. Si le fantoche ne s’accrochait pas d’emblée à son piton, il faisait manquer l’entrée, la sortie, ou la réplique d’un autre personnage. Manquer son piton ou avoir le piton devint synonyme d’une entrée ratée, ou d’une réplique oubliée et cela pour les acteurs du grand théâtre de Nohant aussi bien que pour les marionnettes. Les acteurs de l’Odéon qui y séjournèrent plus tard empruntèrent cette locution, et durant plusieurs années on disait derrière le rideau du second théâtre Français à chaque accroc survenu : il a le piton ou il a manqué son piton. Qui aurait cru que les acteurs de l’Odéon se souvenaient ainsi des petits sujets de bois de Maurice Sand ! Lui, entre temps, faisait avec ces derniers de vrais miracles. Grâce à son talent de peintre et sa science de la perspective, il brossa pour son théâtre de beaux décors très variés, soigna ses éclairages et, à force d’adresse et de combinaisons spirituelles, il poussa à la perfection tous les effets dits « scéniques », tous les trucs : éclairs, tonnerre, levers de soleil et de lune, jets d’eau, cascades, etc., etc. ; il arrivait à donner une illusion scénique complète. Et toujours, toujours il inventait pour les représentations de ses pupazzi quelque nouveau scénario captivant. Tous ceux qui assistèrent à ces représentations, à commencer par Mme Sand elle-même, disent que l’impression produite par ce théâtre de marionnettes était vraiment surprenante, merveilleuse, impossible à décrire. Éclairées d’une manière fantastique, groupées par Maurice avec une adresse incroyable et se mouvant le plus naturellement du monde, ces poupées paraissaient animées. Leurs yeux (figurés par des clous ronds enfoncés dans leurs têtes en bois), brillaient et semblaient voir, la voix de Maurice imitait tous les timbres, tous les accents, tous les tics des personnages, et les spectateurs pleuraient ou riaient aux larmes, comme à un vrai spectacle. « Personne ne sait ce que je dois aux marionnettes de mon fils, » écrivit plus tard George Sand, et elle n’exagéra point. Les marionnettes la sauvèrent du désespoir et de l’apathie morale, puis donnèrent une nouvelle impulsion et une nouvelle direction à son activité littéraire.

À côté des marionnettes la fin de 1848 et le commencement de 1849 virent ressusciter à Nohant les spectacles improvisés. Et non seulement ils ressuscitèrent, mais ils prirent encore un essor tout nouveau, un éclat inattendu. Chaque jour comptait quelque progrès : au lieu du « paravent tendu de papier bleu[7] », qui servit primitivement de décor et de rideau, Maurice et Lambert brossèrent de vrais décors, puis il y eut une rampe, des herses ; les costumes improvisés furent peu à peu remplacés par des costumes inventés et même commandés d’avance. Et bientôt les spectacles à Nohant prirent tant d’éclat que les acteurs s’enhardirent à jouer en public ; d’abord devant leurs amis de La Châtre ou des châteaux voisins (Papet du château d’Ars ou les Duvernet du Coudray), puis devant un public moins connu, habitants des alentours, et finalement Maurice et consorts eurent l’audace de jouer devant des amis, des connaissances et des acteurs venus de Paris, par exemple devant Bocage. D’autre part plusieurs actrices et acteurs, avec lesquels Mme Sand se lia d’amitié, prirent part à ces représentations. Grâce à ces séjours à Nohant beaucoup d’artistes parisiens devinrent des familiers et de vrais amis des Sand, mère et fils. Sans parler de Bocage et de Mme Sylvanie Arnould-Plessy, ceci se rapporte surtout à Sully-Lévy, Marie Lambert, Mlle Bérangère et M. et Mme Albert Bignon qui, tous, entre 1852 et 1860, furent souvent les hôtes de Nohant soit aux vacances d’automne, soit en été et même en hiver. Plus tard ce fut le tour de Thiron et de Clerh. Et cela dura presque jusqu’aux dernières années de Mme Sand. Tel fut le commencement de ce « Théâtre de Nohant », qui devint non seulement le passe-temps favori des habitants de Nohant, mais qui joua aussi un rôle très important dans la vie privée de Mme Sand et dans l’histoire de ses créations.

Ces représentations inspirèrent à George Sand le désir de tenter un nouvel essai théâtral. Nous avons vu qu’au milieu de la tourmente révolutionnaire elle avait écrit pour le « Théâtre du Peuple » son prologue le Roi attend, qui nous intéresse surtout comme la première des pièces de Mme Sand où elle mit en scène Molière. (Nous verrons à l’instant qu’il y en eut plusieurs.) L’année suivante, Mme Sand abandonna la politique pour revenir à l’art vrai, elle écrivit François le Champi, pièce tirée du roman de ce nom et représentée à l’Odéon en automne 1849. Cette comédie remporta un très grand et légitime succès[8], car, à l’encontre de presque toutes les œuvres dramatiques tirées de romans, généralement inférieures aux livres, cette comédie nous paraît, sous certains rapports, mieux composée que le roman. Quoique beaucoup de pages charmantes et de fines analyses psychologiques y manquent forcément, — ainsi toutes celles qui nous peignent la confusion et l’émoi de François devant l’amour qui l’envahit et qu’il ignorait, — mais l’action est serrée, et ne souffre pas des illogismes qui choquent le lecteur du roman. Elle s’engage au moment du retour de François, déjà adulte, dans la maison de Madeleine Blanchet, devenue veuve, malade et ruinée par sa rivale. Ceci supprime cette situation si déplaisante de l’enfant qui disait « ma mère » à celle qui le portait dans ses bras, devint amoureux d’elle, en fut aimé et l’épousa.

Revenue dans son Berry, encouragée par le succès du Champi et inspirée par l’atmosphère théâtrale qui l’entourait alors dans sa vieille maison de Nohant, Mme Sand se mit à écrire toute une série de pièces. Ce furent d’abord des comédies champêtres, genre qui avait paru si attrayant au public de la Comédie-Française. Puis elle se tourna vers la « comédie de mœurs » et même vers ce qu’on appelle les « pièces à thèse ».

Les années 1849-1851 doivent être considérées comme le temps où Mme Sand se tourna d’une manière très marquée vers la littérature dramatique. L’art dramatique sous toutes ses formes règne alors en autocrate à Nohant ; comédies après drames, drames après comédies s’entassaient sur le bureau de George Sand ; dans la salle voûtée du rez-de-chaussée, dite la salle du prieuré, la commedia dell’ arte succédait aux représentations de pièces apprises par cœur, ou aux spectacles des marionnettes. On s’y prépare toute la journée, on coud les costumes, on peint les décors, on fabrique avec du papier doré et de la colle des armures magnifiques ; à déjeuner et à dîner on discute les scénarios, on se dispute à propos du caractère de certain rôle.

En écrivant le Roi attend George Sand s’était souvenue de certains épisodes dramatiques de la vie de Molière. Elle écrivit pour les spectacles de Nohant une pièce tirée de la biographie de ce père du Théâtre français, et lui donna pour titre l’anagramme défectueuse de son nom — Marielle[9] ; puis Mme Sand fit une vraie pièce de théâtre — Molière, dans laquelle elle s’efforça de réhabiliter la mémoire du grand homme et de faire justice de certaines histoires répandues dans le public et portant atteinte à son honneur ; elle leur trouvait une explication psychologiquement vraie.

En outre, lors de ses recherches sur la genèse du théâtre de Molière, George Sand s’engoua de la Comédie italienne, se mit à étudier en compagnie de son fils l’histoire de ces « bandes » d’acteurs-improvisateurs, l’histoire des « masques », à faire des recherches sur les auteurs de leur époque, et se plongea complètement dans cette étude ; elle consacra un article spécial au Théâtre italien, elle en parla dans la préface de sa pièce les Vacances de Pandolphe, enfin, elle écrivit une préface pour l’étude de Maurice Sand sur les Masques et bouffons. C’est un travail extrêmement intéressant, traitant de la genèse, de l’évolution et des types principaux de ce théâtre et de cet art dramatique sui generis ; il est d’un grand attrait également pour ceux qui étudient l’histoire de la culture, pour les amis de Thalie et de Melpomène ou simplement pour tout lecteur passionné d’art. Entre autre, Maurice Sand a « découvert » un auteur oublié de ces comédies — un certain Beolco. Il a recueilli et narré sur cet auteur dramatique et sur ses œuvres des détails fort curieux. Quant à ses illustrations représentant les types traditionnels ou caractères de cette comédie italienne, elles en donnent une très vivante et très précise reproduction.

Les représentations théâtrales de Nohant eurent donc une action très importante sur l’activité littéraire de George Sand. Il en fut de même dans sa vie privée. Ces spectacles la reposaient de son labeur obstiné, jamais interrompu ; elle y oubliait les pénibles et tragiques impressions du dernier quart de sa vie ; elle y essayait ses nouvelles pièces destinées à quelque théâtre de Paris ; elle y puisa la donnée de plusieurs de ses romans[10]. Enfin le grand et le petit théâtre de Nohant, en ramenant George Sand à l’art dramatique, apportèrent de grands changements même dans sa vie. Il fallut faire des démarches pour placer les pièces, aller à Paris, assister aux répétitions, élargir le cercle de ses connaissances, fréquenter le monde artistique. Les observations qu’elle y fit engendrèrent une série de romans, dont les héros appartiennent à ce monde des tréteaux, tels sont : Pierre qui roule et le Beau Laurence, Adriani, Narcisse, etc., etc.

En 1851 Mme Sand fit une surprise à son fils : en son absence on reconstruisit la salle de spectacle. À son retour, Maurice trouva une vraie scène de théâtre parfaitement aménagée. Mme Sand en parle ainsi dans sa lettre du 24 février à Augustine de Bertholdi :

Oui, le théâtre a épaté Maurice. Il est arrivé le matin, il y a environ trois semaines. Le théâtre était fermé. Le soir je lui ai bandé les yeux et je l’ai conduit dans le billard. Il a vu la toile se lever, le décor de Claudie en place, tout bien propre, bien éclairé. Tu juges de sa surprise. On a joué deux fois seulement, depuis son retour. Je ne laisse jouer que tous les quinze jours, parce qu’après tout, il faut travailler. Hier a été une représentation splendide. Une pièce dans le goût des Pilules du Diable, moitié parlée, moitié pantomimée, avec des surprises, des diables, des pétards à chaque scène. Il y avait soixante personnes au public. Ça pirouettait un peu, mais on criait, on trépignait, et les acteurs étaient électrisés…

Le 28 avril Mme Sand écrit à la même correspondante :

Nous allons jouer ma dernière pièce[11]. Ah ! comme tu nous serais nécessaire ! Me voilà condamnée à faire les jeunes premières, la figure va encore quand je suis bien plâtrée, mais c’est un obstacle invincible pour moi de me persuader que je suis jeune, et ne me sentant pas la personne que je représente, je ne peux pas bien jouer. C’est au mois d’août que tu nous viens, n’est-ce pas ? Va-t-on s’en donner !…

Le 19 juillet Mme Sand annonce qu’elle est libérée de la nécessité de remplacer Augustine dans ces rôles qui lui conviennent si peu : ils sont désormais joués par une certaine Mlle Souchois, parente de Mme Duvernet, fort jolie personne. Toutefois, au dire de Mme Sand, cette jeune personne

réussit dans la partie naïve et enfant de son rôle, elle a été très insuffisante et très froide dans les endroits dramatiques. Mais on ne pouvait exiger davantage sur nos planches et Maurice a eu dans le rôle d’amoureux les mêmes qualités et les mêmes défauts, Manceau a eu en vieillard un grand succès. Lambert et Villevieille[12] ont bien joué aussi. En somme notre représentation a été très gentille et m’a bien donné l’idée de ma pièce, ce qui était pour moi la chose importante. Nous tâcherons d’en avoir une autre (une autre pièce) pour ton séjour ici. Solange est ici depuis une quinzaine avec sa petite qui est ravissante. On est très gai et tout va bien. Elle passera encore un mois avec nous…

Dans une lettre inédite de Mme Sand à Pauline Viardot, datée du 16 octobre de cette même année 1851, nous trouvons aussi les lignes suivantes, très intéressantes et qui nous peignent la manie théâtrale régnant alors à Nohant, aussi bien que le rôle du théâtre de Nohant dans la genèse des pièces de George Sand, destinées aux scènes parisiennes.


Nohant, 16 octobre 1851.

…Nous menons une vie de cabotins. Nohant n’est plus Nohant, c’est un théâtre ; mes enfants ne sont plus des enfants, ce sont des artistes dramatiques ; mon encrier n’est plus une fontaine de romans, c’est une citerne de pièces de théâtre. Je ne suis plus Mad. Sand, je suis un premier rôle marqué. Tout cela se passe bien gaiement, comme vous pouvez croire ; nous avons tout l’amusement et rien des déboires de l’art. Le théâtre est grand comme un mouchoir de poche, le public se compose de cinquante personnes ni plus ni moins, tous amis intimes, domestiques ou paysans du voisinage. La troupe se compose de Maurice et moi, de Manceau et Lambert, de Duvernet et sa femme, d’un bon enfant fort laid que vous ne connaissez pas et du menuisier de la maison, qui est le machiniste, le souffleur et l’utilité. La jeune première est Augustine au temps des vacances, et une autre que vous ne connaissez pas, dans d’autres moments. Nous faisons même venir de jeunes garçons, élèves du Conservatoire, quand nous avons besoin d’un amoureux, car ici, personne n’aime cet emploi-là. Enfin j’ai fait trois pièces cet été, dont deux ont été jouées par nous, refaites et rejouées. Cela m’est bien utile, je vois ma pièce et je la juge, et quand je n’en suis pas contente, je la bouleverse. Vous verrez, je pense, mes trois pièces eet hiver. Deux sont placées. Quant à l’autre, jetais dans la même situation que Gounod ; je comptais sur Bocage, et je savais que Bocage comptait sur lui. Mais le Marc Fouruier, nouveau directeur de la Porte-Saint-Martin, après m’avoir demandé ma pièce, m’a évincée sous divers prétextes dont le seul vrai, c’est que le Foucher[13] lui a défendu de me jouer. Espérons que cette persécution ne s’étendra pas à Ponsard[14] et à la musique de Gounod, d’autant plus que voilà le Foucher tombé dit-on[15]. Moi, je suis en course, par les jambes d’Hetzel, pour placer la dite pièce je ne sais encore où. La première est au Gymnase, la seconde au Vaudeville, si j’y puis avoir les acteurs sérieux que je veux dans les rôles que je leur destine. Mais tout cela est affreusement difficile et ennuyeux, et quand le plaisir d’écrire, et de jouer à Nohant est fini, l’ennui de se faire jouer à Paris commence.

Quand est-ce que vous viendrez passer quelque temps avec nous et vous amuser avec nous à ce jeu-là, chère fille ? Nous en avons un plus amusant, c’est d’improviser à l’italienne, sur des canevas assez compliqués parfois, et nos enfants font des tours de force d’à-propos et de dialogue comique. Il y a aussi la pantomine. Oui, quelque jour vous serez des nôtres, promettez-le-moi. Gounod tiendra le piano, et on fera un rôle de chasseur pour Viardot. Au besoin on lui mettra des perdrix empaillées sur le théâtre.


Les trois pièces auxquelles Mme Sand fait allusion dans cette lettre comme écrites en été 1851, sont : le Mariage de Victorine, les Vacances de Pandolphe et Nello le violoniste plus tard rebaptisé en Maître Favilla. Quant à l’année 1851 — où cette lettre et ces trois pièces furent écrites — il faut considérer cette date comme le vrai commencement de la carrière dramatique de George Sand, car c’est en janvier de cette année que fut jouée la première de toute une série de pièces que George Sand écrivit et mit en scène sans discontinuer, pendant quelque cinq années, jusqu’en 1856 à peu près. C’est ainsi que le 11 janvier 1851 fut jouée à la Porte-Saint-Martin par l’ami de l’auteur, Bocage, une pièce champêtre, Claudie, comme qui dirait un conte berrichon de George Sand mis en scène. Elle eut un grand succès. Le 10 mai de la même année on représenta, à la Gaieté, Molière. Puis viennent : le Mariage de Victorine, représenté au Gymnase le 26 novembre 1851, les Vacances de Pandolphe, comédie qui eut sa première le 3 mars 1852 au même Gymnase et qui est écrite dans le style des masques italiens sur lesquels Mme Sand fit un article en cette même année. Le 1er septembre 1852 on joua le Démon du foyer, au Gymnase. Une année plus tard, en septembre 1853, année où parurent les Maîtres sonneurs, on représenta, toujours au Gymnase, le Pressoir, drame champêtre dans le genre du Champi et de Claudie. Deux mois plus tard, le 28 novembre 1853, on donna, à l’Odéon, une pièce tirée par George Sand de Mauprat. Moins d’une année après, le 31 octobre 1854, George Sand revint au Gymnase avec Flaminio, tiré du roman de Teverino, (nous en avons parlé au chapitre vu du volume précédent). Onze mois plus tard, on joua, à l’Odéon, Nello-Favilla ; six mois après lui, le 16 février 1856, au Gymnase, Lucie ; le 3 avril de la même année, à l’Odéon, Françoise (destinée d’abord sous le titre de l’Irrésolu à la Comédie-Française). Enfin neuf jours à peine après cette dernière pièce, le 12 avril 1856, on représenta à ce Théâtre-Français le Comme il vous plaira de Shakespeare, arrangé par George Sand. C’est ainsi que de la fin de 1850 au commencement de 1856 George Sand écrivit et mit en scène douze pièces et la treizième, Marielle, prototype de Molière, fut imprimée dans la Presse vers la fin de 1851. Et combien de pièces encore ne virent pas le feu de la rampe à Paris et ne furent écrites que pour Nohant !

Nous ne dirons rien de Claudie. Le lecteur trouvera l’analyse de cette pièce et le récit de nos impressions personnelles lors de sa représentation à la fête du centenaire en 1904, dans le dernier chapitre de ce volume[16]. Rappelons seulement quelques curieux détails sur l’apparition de Claudie au théâtre en 1851, (Elle fut reprise en 1859, 1863, 1886, 1904 avec un succès toujours croissant). Or, au dire même de Mme Sand lors de sa première mise en scène :

… « Claudie a été un triomphe et non pas un succès, grâce aux mauvais tours politiques et autres, grâce aux vols de l’administration ; la gloire y est, mais non l’argent[17]… »

… J’ai énormément travaillé depuis Claudie, écrit Mme Sand à Mme de Bertholdi le 28 avril 1851, Claudie m’ayant fait faux bond quant à l’argent, grâce aux mauvais tours de fripons qu’on a joués à Bocage et à moi, il m’a fallu faire vite une autre pièce qui est en répétition à la Gaieté maintenant, c’est Molière joué par Bocage. De plus, j’ai fait encore une pièce ces jours-ci, pour parer à une défaite, si Molière est persécuté et trahi comme Claudie l’a été. Voilà bien des luttes. Heureusement je les prends avec beaucoup de calme à présent et ne m*étonne plus de rien…

Les luttes et les ennuis qui échurent en partage à Claudie et aux pièces qui la suivirent, eurent pour cause le passé politique de leur auteur, passé très récent. La presse réactionnaire, la police et le pouvoir considéraient George Sand comme un auteur dangereux, une socialiste, une rouge, ce qui leur fit découvrir même dans cette innocente pièce de Claudie des tendances subversives. De nos jours elle semble « fade » et « à l’eau de rose » à bien des personnes, en 1851 on la considéra comme une œuvre destinée à faire crouler l’édifice social, himmelsturmend, comme disent les Allemands. La réhabilitation d’une fille perdue, les diatribes d’un ouvrier journalier contre le riche paysan Denis Ronciat, l’hymne au travail — tout cela effraya les puissants de ce monde et les bourgeois.

M. Ladislas Mickievricz, alors que ce chapitre était déjà terminé et copié, nous communiqua un extrait d’une Correspondance de Paris publiée dans le Goniec Polski (journal polonais paraissant à Poznan), à la date du 8 janvier 1851, où nous trouvons les lignes suivantes, fort curieuses, se rapportant à cet épisode :

On doit représenter ces jours-ci sur une scène parisienne une pièce de George Sand intitulée : Claudie. Comme George Sand a la réputation d’être un écrivain socialiste, la police a usé avec une sollicitude particulière de son droit de censure. Entre autres on a supprimé les passages suivants que Ton a trouvés éminemment menaçants p ourla religion, la famille, la société et la propriété. « Justice se fera, Dieu l’a promis et il tiendra sa promesse ; » « la gerbe de blé est l’oreiller du peuple », Ce ne serait que ridicule si ces chicanes policières dénotaient non pas seulement l’esprit policier de M. Carlier, mais encore les dispositions de la moitié de l’Europe qui entend sauvegarder ainsi la religion et l’ordre social.

Claudie ne se soutint pas longtemps sur les planches et les sentiments hostiles ou sceptiques de différents cercles de la société parisienne contre son auteur trouvèrent, entre autres, leur expression dans une parodie qui parut peu de temps après sous le titre de : Claudine ou les Avantages de l’Inconduite, étude pastorale et berrichonne par Siraudin et de Beauplan (Paris, 1851, Giraud, in-12).

Gustave Planche en analysant Claudie appela Mme Sand « une élève de Sedaine » et lui conseillait, dans son article, d’étudier cet auteur si injustement oublié. Ces paroles firent-elles relire à George Sand « le bon papa Sedaine » qui avait toujours été l’un de ses auteurs préférés (comme elle l’assura plus tard, dans une de ses lettres de 1876), ou bien un volume de Sedaine lui tomba-t-il simplement entre les mains parmi les dizaines de vieux auteurs qu’elle relisait alors à la recherche d’un canevas, pour quelque spectacle improvisé de Nohant, peu importe ! Le fait est que le Philosophe sans le savoir, qu’elle n’avait « jamais bien connu auparavant, ne l’ayant vu deux fois que dans son enfance » et qu’on venait justement de reprendre à la Comédie-Française, attira son attention ; elle s’enthousiasma tellement pour Sedaine, qu’elle écrivit le Mariage de Victorine qui est une suite du Philosophe tout comme le Mariage de Figaro est celle du Barbier de Séville. Est-ce ce lien intime entre les deux pièces qui fait que chaque reprise de la comédie de Sedaine rappelle immédiatement à tout le monde la pièce de George Sand, et vice versa, ou bien parce que le Mariage de Victorine s’adapte admii-ablement aux vieilles traditions du théâtre français, ce qui est certain c’est que le Mariage de Victorine resta au répertoire du Théâtre-Français, excitant non seulement l’enthousiasme du gros public, mais l’approbation exaltée de connaisseurs aussi fins que Flaubert. Lorsqu’on 1876, peu avant la mort de l’auteur, on reprit le Mariage de Victorine à la Comédie-Française, Flaubert, cet ami nouveau, mais peut-être le plus chéri de George Sand pour la sincérité de l’amitié respectueuse et tendre qui l’attachait à elle, lui écrivit qu’il ne comprenait pas comment elle avait pu faire sa charmante comédie d’après la pièce « assommante, oui, assommante de Sedaine ». George Sand fut horripilée et se récria contre un jugement aussi irrévérencieux sur son « bien-aimé papa Sedaine », en défendant la simplicité, la candeur, la délicatesse de ses personnages si touchants ; elle ne pouvait pas même prétendre, disait-elle, y atteindre. Flaubert ne se le tint pas pour dit, et dans une seconde lettre redit encore une fois que lui et Mme Viardot s’étonnaient comment George Sand « avait pu faire ceci de cela » ; tout en rendant justice à la délicatesse de sentiments et à la noblesse des principes des personnages de Sedaine, il n’assurait pas moins que la pièce de Sedaine était « insupportablement fade, fade comme du laitage » ; qu’il ne suffisait pas qu’une œuvre fût remplie de bons sentiments pour rester éternelle ; il fallait qu’elle fût bien écrite, que son style tût immortel ; c’est pour cela que le Mariage de Victorine était adorable et le Philosophe vieillot et assommant. On est excessivement étonné de lire un jugement aussi enthousiaste sur le Mariage de Victorine, écrit par l’auteur de Madame Bovary. C’est évidemment la partialité amicale de Flaubert (qui nommait Mme Sand avec un tendre respect « sa chère Maître » ) qui le lui dicta[18].

Nous n’avons jamais vu jouer le Mariage de Victorine ; à la lecture il nous produisit l’effet, — disons-le sans ambages et avec la franchise de ce galopin du conte d’Andersen, qui osa ne pas voir les prétendus beaux habits royaux, — il nous produisit l’effet d’une de ces sucreries sentimentales, de ces médiocrités dramatiques conventionnelles, hissées sur des échasses et théâtralement routinières qui faisaient les délices des spectateurs vers 1850, mais qui sont insupportables pour les yeux, les oreilles et le goût du spectateur contemporain même le moins exigeant en ces matières.

Cette routine de théâtre nous choque bien moins dans la pièce qui suivit le Mariage, dans les Vacances de Pandolphe, peut-être parce que l’auteur y fait mouvoir non des caractères réels, mais justement des types de convention ; ce sont les types traditionnels de la comédie italienne, auxquels George Sand revint encore dans son article, paru deux ou trois mois à peine après la représentation de Pandolphe. Nous y voyons apparaître et le docteur, et Léandre (prototype d’Almaviva), et Pédrolino ou Pierrot, et le classique Pascariel, et l’ingénue Violette (participant et de Rosine et de ZerUne), et Isabelle, et Colomhine et une duègne, bref, tous les personnages des bandes de comédiens d’avant Molière avec tous leurs traits typiques et routiniers, toutes leurs allures et particularités. On ne les juge pas, ni eux, ni leurs actions, selon la logique et la fidélité à la vraie vérité, mais seulement selon la concordance de leurs faits et gestes avec les traditions bien connues. Les Vacances de Pandolphe pourraient servir d’excellent livret pour un opéra ou un ballet style dix-huitième siècle, si en vogue de nos joins, et nous le signalons à l’attention de MM. les compositeurs. George Sand écrivit une petite chanson en vers pour la scène finale de Pandolphe, dans le goût de la naïveté de convention de toute cette pièce de poupées, et elle l’a mise en musique elle-même en écrivant, au-dessous, quelques mesures de mélodie tout aussi primitive, aux sons de laquelle les deux amoureux de la pièce se jurent fidélité et « Pandolphe essuie une larme à la mélomanie ». Toute la pièce peut être jugée sur cette dernière « remarque ».

Les Vacances de Pandolphe furent suivies par une comédie en trois actes : Le Démon du foyer, dont la première eut lieu le 1er septembre 1852. Et le 12 octobre de la même année commençait à paraître dans le Pays le roman de Mme Sand, Mont-Revêche. Il est très curieux de comparer ce roman et cette pièce : tous les deux ont pour héroïnes trois sœurs ; dans le roman ce sont les trois filles de M. Dutertre, dans la pièce les trois sœurs Corsari, et la donnée générale est presque identique. Mme Sand avait dès le principe eu l’intention de dédier ce roman à son ami le comte d’Orsay, mais le comte mourut le 4 août 1852 et le roman resta sans dédicace. Or, George Sand esquissa dans la pièce la silhouette du comte, et dans la comédie comme dans Mont-Revêche on retrouve aussi, reflétée, la personnalité de l’amie de d’Orsay, la propre fille de l’auteur, Solange. Seulement elle est une dans la pièce et divisée en deux dans le roman, où elle a servi de modèle à Fauteur pour dessiner les deux filles aînées de M. Dutertre, Nathalie et Éveline. La première, une glaciale beauté pétrie d’esprit, personnifie la méchanceté, l’hypocrisie, la couardise et les calomnies de Solange, qui, dans le roman comme dans la vie réelle font le désespoir de sa famille, sont la source d’une série de chagrins, de querelles, presque de meurtres et, en tous cas, causent, dans le roman, la mort prématurée de la belle-mère de cette diabolique enfant. Dans la seconde sœur, Éveline, nous reconnaissons d’autres traits de Solange, moins repoussants, plutôt bizarres, et quelquefois même attrayants ; nous voyons devant nous Vautre Solange, l’extravagante, la capricieuse, la mal équilibrée, la dominatrice, « la sublime princesse » de Nohant, habituée à l’adoration universelle, éprise de chiffons, de rubans, de luxueuses toilettes, de cavalcades et de grands titres, tantôt fantasque, adonnée à de folles entreprises, cherchant les émotions violentes, tantôt se mourant d’ennui et de désœuvrement. Dans la pièce c’est le petit « démon » lui-même la Flora, qui est certes silhouettée d’après Solange. Cette beauté glaciale, égoïste jusqu’au bout des ongles, voit et cherche un adorateur dans chaque homme qui l’approche. Elle ne comprend pas qu’on puisse ne pas l’admirer, elle se morfond et se désole de mener une modeste et tranquille existence dans la maison de sa sœm* aînée, Nina ; elle jalouse cruellement sa sœur cadette, Camille, brillante cantatrice, elle se décide d’abord à fuir de la maison en compagnie d’un vieux dandy-mécène qu’elle n’aime point, dans le seul but de s’amuser, de pouvoir briller, de se libérer de la tutelle des cœurs aimants ; plus tard, pour le seul plaisir de sa vanité et de son amour-propre sans frein, elle est prête à briser froidement la vie de sa sœur, en exigeant que celle-ci lui sacrifie son amour. Quant au grand seigneur « ami des artistes », c’est le personnage le plus réussi de la pièce, un type soutenu dans les moindres détails. On se demande ce qui se cache derrière l’élégance de ses manières, sa parfaite tenue, son aimable moquerie et son froid scepticisme, si c’est un noble cœur qui veut sauver l’écervelée Flora des suites néfastes de son escapade et si à cette fin il devient son protecteur, ou bien si c’est un vieux roué blasé qui veut abuser de l’innocence de cette coquette jeune fille, moins pervertie qu’elle ne le paraît. Nous venons de dire qu’en ce même été 1852 mourut l’ami de l’auteur, le paternel protecteur de Solange, le comte d’Orsay, auquel le roman dont fut tirée cette pièce devait être dédié. L’auteur biffa la dédicace, mais le portrait du vieux beau, « ami des artistes » protecteur de la froide fille sans cœur, resta, et c’est, répétons-le, le personnage le plus intéressant de la pièce. Toutefois, deux de ses tirades dédaigneuses, très caractéristiques et parfaitement d’accord avec le type de grand seigneur ami des arts, tant soit peu hautain, que l’auteur voulait peindre, furent très mal accueillies par la critique, et comme en ce moment-là, profitant des tendances réactionnaires du moment, la critique en général ne manquait aucune occasion d’attaquer George Sand, Jules Lecomte, entre autres, pubUa à l’occasion du Démon du foyer, un article indigné contre Mme Sand. Il déclarait que la romancière vivant à la campagne et entourée d’une cohue de flatteurs et de parasites qui la poussaient par leur adoration outrée à l’oubli complet de toute mesure et de toute critique de soi, était arrivée au comble de l’orgueil ; il prétendait que dans sa préface aux Vacances de Pandolphe, George Sand avait appelé Gustave Planche « le seul critique sérieux de ce temps-ci », parce que lui seul avait apprécié le Mariage de Victorine et qu’à présent, dans son Démon du foyer, elle se permettait de dire des choses vraiment impossibles : c’est ainsi par exemple, qu’elle appelait tous les critiques « des gazetiers », tous ses confrères les journalistes « des chenapans », tous les directeurs de théâtre « des suborneurs », et qu’elle avait offensé cruellement tous les représentants de la presse par les deux phrases que son prince prononçait dans le premier et le deuxième acte.

George Sand releva le gant et répondit dans la Presse du 10 septembre 1852 par une longue lettre, dans laquelle elle soutenait son droit de faire parler à chacun de ses personnages, les fats, les chenapans et les vauriens, un langage et de leur faire dire des choses qui, justement, les peignent comme des fats sans pudeur, des chenapans sans principes et des vauriens sans savoir, incapables d’apprécier eux-mêmes et les autres. En même temps George Sand prouvait que le devoir de la critique honnête était de ne pas prendre toutes ces sorties pour des opinions propres de l’auteur, et de comprendre que les sots et les vauriens, en vertu même de leur défaut, jugent les autres tout de travers. Au début de cette lettre Mme Sand signalait à Jules Lecomte avec grande dignité combien il était indécent pour un critique de parler de la vie intime d’un auteur vivant, aux secrets duquel il n’était pas initié : il parle de choses qu’il ne connaît pas ; ou bien, s’il y est initié, alors il est indiscret. Le critique ne doit parler que des œuvres d’un auteur et en parler avec impartialité. Or, Jules Lecomte avait poussé si loin sa partialité qu’il citait inexactement même les phrases de la pièce et les arrangeait à sa guise. Et comme preuve à l’appui, George Sand citait les deux passages incriminés.

Nous les citerons en entier : dans l’article de George Sand ils sont un peu changés. Au premier acte le prince dit à Flora en réponse à ses lamentations d’être « perdue », ayant cédé à ses conseils de fuir avec lui de la maison de ses sœurs :

Est-ce que je vous fais des conditions ? Me prenez-vous pour un gazetier ou pour un directeur de théâtre[19]. Je suis l’ami des artistes, et assez bien pourvu de tout ce qui fait la vie agréable pour être un ami désintéressé. Est-ce que j’ai cherché à vous séduire ? Je ne me suis pas aperçu de ça…

Au second acte, répondant de nouveau à une phrase de Flora qui déclare qu’on l’avait calomnié auprès d’elle, disant qu’il était capable de la mal conseiller, le prince réplique :

Ah ! cette bonne Nina ! Elle croit encore aux roués de la Régence. Oui, elle les connaît… de réputation. Elle les a vus représenter au théâtre ou dans les romans par un tas de chenapans qui leur font dire et faire des choses les plus bêtes[20]. C’étaient de grands sots, nos aimables aïeux, s’ils se conduisaient avec les femmes comme on les fait agir dans la littérature moderne…

Et Mme Sand ajoutait :

« Qui sait écrire doit savoir lire, et qui sait lire, doit savoir entendre, » puis elle demandait ironiquement « si c’étaient les auteurs modernes ou les types fictifs de leurs roués de la Régence qui étaient traités de chenapans et qui faisaient toutes les choses les plus bêtes »…

Mais, continue-t-elle, si même l’auteur avait fait dire à l’un de ses personnages les choses les plus exorbitantes, des énormités, ne fallait-il pas considérer le public comme apte à comprendre de lui même, sans qu’on lui dise comme aux enfants : « Celui-ci est le traître, il dit du mal de la vertu. Celui-là est l’insolent, il méprise tout ce qui n’est pas lui ! » Puis en parodiant l’exclamation de Jules Lecomte : « Ah, madame, ah, madame ! insulter la critique ! » elle s’écriait : « Ne pas comprendre une chose si niaise ! Ah ! monsieur le critique ! un critique ! » Et elle terminait sa Lettre en déclarant que pour rien au monde elle ne suivra son conseil et ne changera pas un seul mot à sa pièce, parce que, si elle le faisait, « ce serait une sottise, une lâcheté et un mensonge », elle aurait l’air d’avouer d’avoir eu des intentions haineuses et rancuneuses contre quelqu’un, et il n’en était rien.

Au lendemain de cette lettre ouverte à M. Jules Lecomte, le 11 septembre 1852, George Sand écrivait à son fils à Paris :

Le succès du Démon me fait beaucoup de plaisir à cause du jugement faux des articles sur la pièce, qui a été démenti, et de la rage des journaux qui devient inutile. Lafontaine[21] m’a écrit. C’est un peu tard. N’importe ! Bocage m’a écrit des choses superbes, il s’est décidé à voir jouer une pièce à moi. Frédéric[22] m’a écrit encore qu’il court après toi pour les costumes et les décors de Nello. Compose et décide. Peut-être pour la scène du violon Frédéric aura-t-il quelque idée bonne à entendre sur la composition du décor. Je désirerais pourtant qu’il ne changeât rien sans ton avis[23]. Est-ce qu’on a retranché du Démon les gazeiiers, les chenapans et tout ce qui a fait la fureur des journalistes ? J’en serais fâchée. Réponds à cela[24]

Un an après le Démon du foyer, le 13 septembre 1853, George Sand fit représenter au Gymnase son Pressoir et deux mois plus tard, le 28 novembre, Mauprat tiré du roman de ce nom. Le vieil ami de Mme Sand, Eugène Delacroix, écrivait dans son journal à la date du 28 novembre, le soir même de la première de Mauprat, quelques lignes, à propos des deux pièces qu’il comparait : « Absence de talent dramatique, mots charmants, tous trop vertueux ; bon début, milieu se traîne, paysans vertueux assommants, manque de goût. »

Si tout le monde ne souscrit pas absolument à la première de ces assertions, on trouvera les dernières remarques parfaitement justes, surtout en les rapportant au Pressoir. Cette pièce est insupportablement ennuyeuse à la lecture et justement grâce à cet excès de sacrifice et de vertu « assommante » de la part de tous, « d’eau de rose » à profusion. Dans la Préface pour l’édition de la pièce en volume George Sand dit qu’elle voulait y mettre en scène non des paysans, mais des villageois : des artisans, des ouvriers, de petits marchands vivant à la campagne et ayant déjà un peu goûté à la civilisation, parlant souvent un langage qui n’est plus celui des paysans, qui n’est pas encore celui des citadins et tout plein de mots savants, employés tout de travers. Il faut convenir que les conversations de ces personnages (de deux vieux voisins, un menuisier et un charpentier et de leurs proches), produisent l’effet de quelque chose de factice (à l’exception de quelques locutions bien certainement transcrites par l’auteur comme il les a entendues ou vues écrites, tel le procès-verbal dressé par un expert villageois). Et la « vertu assommante » des personnages rend même les héros principaux peu intéressants. Au contraire le type du coq de village, le bellâtre Noël Plantier (comme un écho radouci et bon enfant du sans-cœur et égoïste Denis Ronciat dans Claudie), ce type, disons-nous, est très comique, tracé avec une fine moquerie et c’est la seule figure que notre mémoire retienne parmi la multitude de tous ces villageois archi-vertueux. On en dirait peut-être autant de la figure de son père, un vieux grognon et cupide ; mais il est composé d’une manière trop sommaire et naïve. Pour toutes ces causes le Pressoir ne peut en aucune façon aller de pair avec les autres pièces champêtres de George Sand, ni avec le Champi, ni avec Claudie.

Quant à Mauprat, quoique ce drame eût toujours du succès, lors de sa première mise en scène comme lors de chacune de ses reprises, et quoique George Sand défendît dans la Préface le droit de l’auteur de créer avec les mêmes données deux œuvres différentes (elle souligne le mot), malgré tout cela nous devons dire que peut-être aucune autre pièce de George Sand ne prouve autant que Mauprat la thèse qu’il ne faut jamais refaire un roman en drame. Combien il y est peu resté de ce beau roman ! Combien peu on y retrouve cette fine, cette merveilleuse analyse psychologique et par contre, quel mélodrame, marchant sur des échasses, quelle routine dramatique !  ! Du reste, de nos jours, ni grossiers mélodrames, ni échasses romantiques, ni coups de théâtre à outrance ne choquent plus personne, grâce à l’influence… bienfaisante des cinémas ! Il est probable que Mauprat-drame est juste selon le goût du public moderne et peut-être qu’un beau soir, dans quelque salle sombre et bourrée de monde à s’y asphyxier, aux sons faux d’un piano exécutant un pot-pourri ravissant où la valse de la Veuve joyeuse s’enchaîne bravement à la Mort d’Iseult et la Marche funèbre de Chopin à la Petite Tonkinoise, on verra vaciller et trembloter sur l’écran un « extrait concentré » de cette pièce, tirée et taillée dans l’un des plus charmants romans de George Sand, pièce farcie à l’excès de toutes sortes d’invraisemblances, de disparitions, d’apparitions soudaines de personnes sortant d’un mur, de passages « par-dessus des abîmes » sur des poutres à demi brûlées, de coups de fusil partis d’on ne sait où, d’arrivées de gendarmes, etc., etc. Quelle misère !

Nous avons déjà analysé une autre œuvre dramatique de George Sand faite d’après un roman — Flaminio tiré de Teverino. Cette pièce non plus n’a rien ajouté aux lauriers de son auteur.

Les quatre pièces jouées en 1855 et 1856 présentent beaucoup plus d’intérêt. Nello le violoniste fut primitivement destiné au théâtre de Nohant. Puis Mme Sand le remania sur les indications de Bocage qui voulait le jouer à la Porte-Saint-Martin. Un peu plus tard Nello fut refait pour Bouffé. Puis, Mme Sand le remania encore pour Frederick Lemaître qui devait le jouer aux Variétés[25]. Puis le titre fut changé et la pièce fut imprimée par Hetzel, en 1853, sous le nom de la Baronnie de Muldorp {ou de Muhldorf). Remaniée une fois encore et dédiée à Joseph Dessauër, cette œuvre prit le nom de Maître Favilla. Dès lors on appela toujours de ce nom Dessauër chez les Sand, car c’est lui qui servit de prototype au héros. Finalement dédiée à Rouvière, la pièce fut jouée à l’Odéon en 1855. Maître Favilla, peint d’après Joseph Dessauër, rappelle en même temps un personnage de Hoffmann, C’est comme un tribut payé par Mme Sand à la mémoire du célèbre auteur romantique allemand dont les œuvres l’enthousiasmèrent toujours. Dans la préface du Secrétaire intime, George Sand avait déjà proclamé son admiration pour Hoffmann. Nous avons dit dans notre premier volume que lors du séjour de Liszt et de la comtesse d’Agoult à Nohant, en 1837, on y lisait à haute voix les œuvres du conteur allemand et nous avons cité la page du Journal de Piffoël montrant combien George Sand avait été profondément émue par les idées de Hoffmann sur la musique. Mme Sand était aussi très enthousiaste de la « Maison déserte », tant prônée par Hoffmann, elle écrivit à deux reprises sur ce thème : une première fois en 1836 sa Dixième lettre d’un voyageur, ayant pour sous-titre Sur Lavater et une Maison déserte, et une seconde fois en 1856 la Maison déserte, extrait publié dans le Magasin pittaresgue. (Nous en parlons au chap. xi.)

Favilla est donc un vrai personnage de Hoffmann, une espèce de Kreyssler, un artiste avant uniquement dans le monde de l’harmonie et du rêve ; dans la vie pratique c’est un grand enfant, généreux, désintéressé, mais toujours distrait et bizarre et que l’on prend volontiers pour un fou. C’est cette distraction qui, dans la pièce, est la cause des malheurs de Favilla et de toute sa famille : son vieil ami mourant, le baron de Muhldorf lui enjoint de vive voix de garder dans sa baronnie l’ordre de choses et le train qu’on y menait de son vivant, et surtout de secourir toujours les inférieurs, de venir en aide aux indigents ; et dans son testament écrit, il lui lègue toute la fortune des Muhldorf. Favilla, qui adoucit les derniers moments de son ami en lui jouant une cantate de Haendel, brûle par distraction ce testament. Il en résulte que le neveu du baron (qui n’avait point d’enfants), le commerçant Keller, se considère comme l’héritier de la fortune des Muhldorf ; c’est ce que pensent aussi tous les autres. Or, Favilla parle et agit en seigneur et maître de la baronnie. De là, une série de malentendus, tantôt comiques, tantôt tragiques et qui causent le malheur des enfants de Favilla et de Keller, Marguerite et Hermann : le vieux Keller défend à ce dernier d’épouser cette jeune fille, à son dire, la fille d’un violoniste italien, mendiant et fou. Et voilà qu’au moment, où, voulant exécuter à l’anniversaire de la mort du baron la même cantate de Haendel et se mettant à la même place où il se tenait alors, Favilla, comme cela arrive souvent à chacun de nous, se souvient tout à coup comment, dans un accès de douleur, il a allumé le papier timbré à une bougie, puis l’a jeté dans la cheminée et laissé brûler. C’est ainsi que l’existence bien réelle du testament est prouvée et qu’on reconnaît que ce n’est pas lui, Favilla, qui se trouve être hébergé au château de Keller, mais bien Keller chez lui. Ce dernier, s’ennuyant déjà à la campagne, se dispose à revenir à ses boutiques, et les jeunes gens se marient. La scène mimique finale, lorsque, aux sons d’un orchestre invisible jouant la cantate de Haendel, Favilla prend son violon et, se mettant à l’ancienne place, tout à coup rejette son violon, prend sa tête dans ses mains, commence à se ressouvenir, et revient à une entière lucidité d’esprit, fut un triomphe pour Rouvière, auquel le rôle du vieux Favilla, idéaliste, bizarre et demi-fou, dans le goût du héros d’Hoffmann, convenait de tous points.

George Sand assista avec Manceau aux répétitions et à la première de Favilla, qui eut lieu le 15 septembre 1855. Elle raconte ses impressions et surtout celles que lui laissa le jeu de Rouvière dans ses lettres inédites à son fils, du 13, 15 et 17 septembre. Les voici :

Paris, 13 septembre 1855.

Je t’écris un peu à l’hazard, ne sachant où tu es. Je pense que le beau temps t’a décidé à faire ton petit voyage, à moins qu’il ne pleuve, vente et tonne à Nohant. Ici il n’y a pas eu d’orage et nous avons trouvé Paris sec et propre. Favilla va bien. Je trouve Rouvière admirable. Le public sera-t-il de mon avis. Les uns disent oui, les autres non, ceux-ci auront tort. Il joue cela comme un inspiré. Barré[26] est bon, Mme Laurent ravissante. On dit que nous passerons lundi. J’en doute. Il y a demain spectacle gratis, le Champi, dans le jour, je crois que ça nous retardera.

Paris, 15 septembre 1855.
Samedi après la pièce.

Favilla a été admirablement joué et admirablement accueilli…

Je te bige encore. Rouvière, Barré et Mme Laurent ont été magnifiques.

Paris, 17 septembre 1855.

… Ce soir a eu lieu la seconde de Favilla ; Bérengère a perdu son enfant durant la première. EUe ne l’a su que dans la nuit. Vaez[27] est bien triste et elle est bien accablée. Son rôle a été doublé pour aujourd’hui par la petite Maria Rey qui le savait et qui n’a pas été trop mal. Mais elle aurait été mal, que la pièce n’en aurait pas été moins bien. Les petits rôles sont courts et on les écoute sans impatience, car l’on est entraîné par Rouvière, Barré et Mme Laurent qui sont excellents et encore plus aujourd’hui que samedi. Rouvière est d’une beauté dont je ne peux pas te donner l’idée. Il est calme, doux, tendre, enthousiaste, lyrique, c’est l’idéal du personnage et la salle croule sous les applaudissements du dernier acte. Il ne joue plus de violon, c’est Juliette qui joue un solo de harpe (censé) et Anselme qui joue du violon ensuite. Tout cela dans le fond avec des musiciens postiches, et pendant ce temps-là, Rouvière fait une pantomime ébouriffante qu’on applaudit à tout rompre. Il m’a fallu tâtonner cet effet, mais il est venu magnifique. Pour moi ce n’est pas là le merveilleux du talent de l’acteur, c’est la diction des moindres mots qui sortent de lui suaves et profonds. C’est le plus grand acteur qui existe aujourd’hui à Paris, et je crois que le public arrive à s’en apercevoir. Avec cela il est arrangé à ravir. Il est pâle, propre, doux, fantastique, beau comme un Kreysler d’Hoffmann. Quel joli personnage à peindre ! Les artistes en sont fous. La représentation de ce soir a été superbe comme argent et comme succès (d’Odéon). La presse est bonne jusqu’à présent et on croit à un vrai succès. Quel qu’il soit quant au profit, il est réel et certain dans l’opinion, et le ministre demande une nouvelle pièce pour les Français. J’ai vendu le manuscrit à la Librairie Nouvelle. Je vas m’occuper de Charton[28] et de Falempin[29] pour toi, voir l’industrie, voir Mirés[30] qui fait enrager M. Collier[31], dîner chez Girardin, etc. Je ne crois pas pouvoir partir avant lundi prochain, car je n’ai encore pu rien faire en dehors de Favilla. Tu sais qu’à l’Odéon il faut s’occuper de tout. Ils sont plus fafiots et lambins que jamais, mais toujours si gentils qu’on ne peut se fâcher…

… Manceau t’embrasse, sa colique de première représentation est passée. Porte-toi bien.

George Sand exprimait presque dans les mêmes termes son admiration pour le jeu de Rouvière dans la Préface pour l’édition de la pièce qu’elle lui dédia à cette occasion. L’auteur y remercie l’artiste surtout pour avoir par son jeu rendu véridique, réel et possible ce type idéal de Favilla, d’avoir, d’un personnage que l’auteur avait fait simple et bon, fait un personnage grand et poétique, doué d’ « une physionomie que les poètes et les peintres ont comparée avec raison aux types saisissants et touchants des plus belles légendes d’Hoffmann » et d’avoir ainsi rendu un grand service moral à l’auteur qui voulait, avant tout, réfuter l’opinion courante que ses personnages n’étaient ni vivants, ni réels. Cette dernière allusion visait Jules Janin qui avait attaqué George Sand à propos de Favilla et surtout à propos de l’avant-dernière version de cette pièce, la Baronnie de Muhldorf, point jouée, mais imprimée à Bruxelles. Jules Janin prétendait que dans toutes ses pièces George Sand sacrifiait les honnêtes bourgeois aux artistes déréglés et vagabonds, et en exhaussant ces derniers, détestait et maudissait les premiers, mais que, surtout, elle peignait des idéalistes, n’existant pas dans la vie réelle.

George Sand répondit par une lettre[32], dans laquelle elle défendait son droit de peindre des types positifs ou négatifs dans toutes les classes de la société et de les peindre avec les traits caractéristiques adhérents à chacun : un bourgeois ou un marchand, comme un homme prosaïque, sec, mais honnête, un musicien exalté, comme un homme fantaisiste et peu pratique, mais aussi honnête et adorant l’idéal ; et, avant tout, elle défendait son droit de peindre au milieu d’un siècle adonne à la poursuite fiévreuse du gain, des hommes artistes ou bourgeois, peu importe ! qui sont entièrement guidés par le sentiment du devoir, lui apparaissant sous quatre formes : l’honneur, le devoir professionnel, la fidélité dans l’amour, le culte de l’idéal.

À l’époque de la mise en scène de Favilla se rattache un épisode fort intéressant et presque inconnu même des connaisseurs de l’histoire littéraire :

Lors de la première de Claudie le rôle de la Grand’ Rose fut joué par Mlle Daubrun, « la belle Daubrun », comme Mme Sand la nommait dans sa Préface pour l’édition de Claudie, où elle disait beaucoup de choses flatteuses sur cette artiste. Et c’est justement à cette actrice et à son désir de jouer dans Favilla aussi, que se rapporte une série de documents fort curieux que nous avons retrouvés dans les papiers de George Sand. Premièrement c’est une lettre que Mlle Daubrun écrivit à Mme Sand le 4 janvier 1852, lorsque après l’événement du 2 décembre 1851 la Porte-Saint-Martin fut fermée et que cette demoiselle passa à la Gaieté ; elle priait Mme Sand de lui donner la permission de jouer Claudie à son bénéfice du 10 janvier ; or, tous les droits sur cette pièce appartenaient à Bocage, et Mlle Daubrun invoquait la bonté si connue de jVIme Sand et la suppliait de lui venir en aide, vu sa position pécuniaire très difficile. Et elle signait

« Votre humble servante et toujours reconnaissante

« Grand’ Rose-Marie Daubrun. »

Trois ans plus tard, au mois d’août 1855, au moment où on était en train de répéter Favilla, Mme Sand reçut à propos de cette même demoiselle Daubrun une très intéressante lettre de la part d’un auteur, alors inconnu, plus tard immensément célèbre, lettre que nous devons publier, ne fût-ce qu’au nom de la vérité et de l’équité. Voici cette lettre :

Mardi, 14 août 1855.
Madame,

J’ai un bien grand service à vous demander et vous ne connaissez même pas mou nom. S’il est une position embarrassante, à coup sûr c’est celle d’un écrivain obscur contraint à recourir à l’obligeance d’un écrivain célèbre. Je pourrais me recommander près de vous des noms de quelques amis illustres, mais à quoi bon ? J’estime que le récit de mon affaire vaudra mieux que tout, puis je pense que demander un service à une femme pour une femme, ce n’est plus une humiliation, c’est presqu’une joie. J’espère donc ne pas vous déplaire en vous avouant que malgré votre haute position littéraire, je n’éprouve en m’adressant à vous ni trop d’embarras, ni trop de timidité.

Votre drame va être mis en répétition à l’Odéon. Rouvière, un de mes meilleurs amis, un comédien de génie, joue le principal rôle. Il y a un rôle (La femme de Rouvière) que l’on destinait primitivement à Mlle Daubrun. Vous souvenez-vous d’elle ? Elle jouait un rôle remarquable dans Claudie. On était presque d’accord. Narrey, le désirait, le régisseur insistait pour elle, M. Vaez avait l’air de le désirer ; quant à M. Rouvière qui s’y connaît, il l’aime presque autant que moi. Mlle Daubrun est à Nice, elle revient d’Italie où son directeur a fait faillite. Elle s’était sauvée de la Gaieté pour des raisons non seulement fort excusables, mais même fort louables. Hostein[33] a dit qu’il ferait un procès à un théâtre du boulevard qui la prendrait, mais qu’il n’en fera pas à l’Odéon. M. Narrey s’était chargé de lever cette difficulté et en somme on pouvait la considérer comme levée. D’ailleurs il suffit de quelques heures pour arranger cela. Hier matin, à dix heures, je rencontre M. Vaez qui me demande vivement si tout est fini ; je lui dis que Mlle Daubrun accepte avec joie, mais qu’elle désire une légère, très légère augmentation dans les appointements ; si légère, madame, que je n’ose pas vous le dire. M. Vaez me dit de venir le retrouver à deux heures. À deux heures, M. Narrey[34] s’était chargé de la commission désagréable de m’annoncer que tout était rompu, que toute négociation était inutile, que les journées s’écoulaient, etc. Il y a trois jours d’ici à Nice, et l’Odéon ne s’ouvre, je crois, que le 15 septembre.

Ai-je besoin de vous dire, madame, avec quelle joie je voyais Mlle Daubrun rentrer honorablement à Paris, dans un ouvrage de vous, et réparer rapidement dans un théâtre qui lui convient les douleurs et les accidents de l’année précédente ? J’ai dit alors que j’acceptais pour elle, sans la consulter, les conditions offertes. Mais cette porte de refuge m’a été fermée. Dans tout cela, madame, il n’avait pas été question de votre désir ni de votre opinion ; c’est cette réflexion si simple qui m’est apparue comme une chance de salut, et qui me fait vous écrire.

Non seulement, je vous demande votre opinion, une opinion favorable, mais je vous prie, vous l’auteur, vous le maître, d’excuser une pression qui annule la pression inconnue que je n’ai pas su deviner. Je vous supplie, à moins que vous n’ayez des projets arrêtés à l’avance, d’écrire quelques mots à ces messieurs, particulièrement à M. Royer. Vous le voyez, madame, je fais comme ces malheureux, mécontents du Cadi et qui cherchent partout le sultan ; ils comptent sur sa bonté et sur sa justice. Que vous m’accordiez ou que vous me refusiez, ayez la bonté de cacher le moyen excentrique dont j’ai osé me servir. Maintenant, il serait vraiment trop bête que je vous parlasse de mon admiration pour vous et de ma reconnaissance. J’attends votre réponse avec une certaine angoisse. Veuillez agréer, madame, l’expression de mon parfait respect.

Ch. Baudelaire.
27, rue de Seine.

Si, au moins, je pouvais vous faire rire en vous racontant un petit embarras qui m’a fait hésiter trois heures avant d’envoyer cette lettre, peut-être y gagnerais-je un peu. J’ignorais votre adresse ; j’ai imaginé absurdement que Buloz devait la connaître. Il corrigeait les épreuves et en entendant votre nom, il m’a fort rudoyé. De plus je ne savais comment écrire votre nom ; Madame Sand, Mme Dudevant ou Mme la baronne Dudevant ? Je craignais avant tout de vous déplaire. Enfin, le dernier nom, m’a fait l’effet d’une impertinence pour le génie et j’ai pensé que vous préfériez le nom par lequel vous régnez dans le cœur et l’esprit de votre siècle.

C. B

Si, après avoir lu ces lignes si respectueuses, si diplomatiquement insinuantes, si savamment flatteuses, on les met en regard des commentaires hostiles et méchamment mordants dont leur auteur accompagne la réponse, de George Sand, datée du 16 août 1855 (imprimée par M. Crépet à la page 220 des Œuvres posthumes et Correspondance inédites de Charles Baudelaire, in-8°, Quantin 1887), ou éprouve un sentiment de vrai malaise devant cette désinvolture morale, pour ne pas dire plus, du poète. Et que cette lettre de Mme Sand méritait une autre « note en marge » de la part de Baudelaire, tout le monde sera d’accord, nous n’en doutons pas.

À Charles Baudelaire.
Nohant, 16 août 1855.
Monsieur,

C’était une chose convenue. J’ignorais qu’elle fût rompue et j’ignore encore pourquoi. Je regretterais beaucoup Mlle Daubrun et si je puis faire qu’on revienne à elle, je le ferai certainement : je vais écrire de suite.

Agréez l’expression de mes sentiments distingués.

George Sand.

Baudelaire écrivit au-dessus de ces lignes : « Remarquez la faute de français : de suite pour tout de suite. »

C. B

et au-dessous :

« La devise marquée sur la cire était : Vitam impendere vero. Mme Sand m’a trompé et n’a pas tenu sa promesse. Voici dans l’Essai sur le principe générateur des révolutions ce que De Maistre pense des écrivains qui adoptent cette devise. »

C. B

Et voici maintenant la réponse de Baudelaire que nous avons retrouvée aussi dans les papiers de Mme Sand :

19 août 1855.
Madame,

J’ai reçu votre excellente lettre le 17. Je ne m’étais donc pas trompé en invoquant votre obligeance. J’ai écrit immédiatement à Mlle Daubrun pour l’instruire de ce que j’avais fait sans la consulter et afin qu’elle sût à qui adresser ses remerciements dans le cas où ces messieurs, grâce à vous, renoueraient directement avec elle. Quant à moi, il est présumable qu’ils ne me rappelleront pas, à cause de la manière un peu brusque et bizarre dont ils ont rompu. Si vous avez quelque nouvelle heureuse ou désagréable, soyez assez bonne, madame, pour m’écrire deux mots. Veuillez agréer avec mes remerciements l’assurance de mes sentiments les plus respectueux.

Ch. Baudelaire.
27, rue de Seine.

Il paraît que les démarches de Baudelaire et de Mme Sand n’aboutirent à rien, car le rôle de « la femme de Bouvière », c’est-à-dire celui de Marianne, la femme de Maître Favilla, fut (comme on le sait par la liste des acteurs mise en tête de cette pièce dans le volume III du Théâtre de George Sand et par ses lettres inédites à son fils), joué non pas par Mlle Daubrun, mais par Mme Marie Laurent, qui, alors, commençait à peine sa si brillante carrière.

C’est encore Bouvière qui, déjà admis à la Comédie-Française, y créa l’année suivante le rôle de Jacques dans le Comme il vous plaira de Shakespeare, adapté par George Sand, ce même Jacques misanthrope pour lequel Mme Sand avait, dès ses plus jeunes années, eu un faible, comme nous le savons, et qu’elle avait toujours considéré comme le prototype d’Alceste. Mme Sand revenait à cette ressemblance entre les deux personnages dans la Préface pour l’édition de sa pièce ; or, dans cette préface elle s’excusait devant l’opinion publique, d’avoir osé « adapter », « arranger », « corriger » et… amender Shakespeare et louait le jeu des acteurs, mais surtout Rouvière. Il paraît que Mme Sand chantait alors à qui voulait l’entendre des louanges de Rouvière comme artiste et comme personnalité ; ce fut un prétexte plausible pour une petite notice très venimeuse parue dans le Figaro du 20 janvier 1856 à propos de la prochaine première de Comme il vous plaira, petit article où on entremêlait traîtreusement des allusions à la dédicace de Favilla à Rouvière et au roman archi-fantastique de Mme Sand paru, au début de janvier, sous le titre d’Evenor et Leucippe (dont nous parlons plus loin), et des moqueries sur les « corrections » infligées à Shakespeare et enfin sur l’amitié extrême de Mme Sand pour Sylvanie Arnould-Plessy :

Comme il vous plaira ! un beau titre qui a séduit Mme George Sand et elle nous le fera bien voir. Mme Sand, par parenthèse… (Mais ouvrons-la, cette parenthèse ! Mme Sand trouve qu’on ne la répète pas assez vite, et elle parle de retirer Françoise ! Mme Arnould-Plessy n’a pu représenter Mlle Mohlière dans l’à-propos du 1er janvier et cela parce qu’elle est veuve. Espérons qu’elle ne trouvera dans sa vie privée aucune circonstance qui l’empêche de jouer Françoise !) Donc, Mme Sand va écrire Comme il vous plaira pour le comédien Rouvière, comme aussi elle écrira, dit-on, la Conversion de saint Paul pour le même comédien Rouvière.

Seulement Mme Sand n’est pas contente de la version de Shakespeare. Dans Shakespeare, le rôle du comédien Rouvière, Jacques le Mélancolique, ne domine pas assez. Et puis Shakespeare a laissé le poumon à droite et le cœur à gauche et puis Jacques le Mélancolique n’est pas assez vertueux pour le comédien Rouvière. Cela manque d’Arcadie, d’Astrée, de Sylvanie et d’Evenor et Leucippe. Nous allons changer tout cela. Maintenant, sans le comédien Rouvière et sans la philosophie point de salut !

Ce n’est pas sans malice que l’auteur de cet entrefilet faisait une allusion à l’admiration de Mme Sand pour la créatrice du rôle de Celia dans l’adaptation de la pièce de Shakespeare, Mme Sylvanie Arnould-Plessy était, comme nous l’avons vu, une amie intime de Mme Sand. Ce fut pour elle que furent écrites une comédie en un acte Lucie et la pièce en quatre actes, citée par le chroniqueur, Françoise. Cette dernière pièce avait d’abord été écrite en cinq actes et s’appelait l’Irrésolu. On ne sait pas trop pourquoi, aucune de ces deux pièces ne fut jouée à la Comédie-Française, l’auteur, en effet, « reprit Françoise » et la fit représenter au Gymnase, Le rôle de Françoise, jeune fille prête à se sacrifier à son bien-aimé, destiné d’abord à Mme Arnould, fut joué par la célèbre Rose Chéri ; le rôle de l’irrésolu — ou pour mieux dire de l’égoïste veule, aussi incapable de se dévouer à la femme aimée que de faire un mariage de raison en épousant une riche bourgeoise — fut créé par le non moins célèbre Francis Berton, et le rôle de cette « jeune bourgeoise », mi-enfant terrible, mi-petite raisonneuse pratique, par la charmante « ingénue comique » qui fut plus tard une jeune première très applaudie, Mlle Marie Delaporte,

Delacroix, à propos de Maître Favilla et à propos d’autres pièces encore, reprochait à Mme Sand, ainsi qu’à Dumas père, de faire entrer dam le drame sentimental des personnages comiques et vice versa, ce qui lui paraissait un grand défaut et une grave erreur. Selon nous, dans Françoise, tout aussi bien que dans Claudie et dans le Pressoir, les personnages les mieux réussis ce ne sont point les héros vertueux et sentimentaux, mais justement les personnages comiques, les Denis Ronciat, les Noël Plantier, etc., etc. Tels, aussi, les parents de Cléonice Dubuisson, la fiancée bourgeoise de l’irrésolu, le papa qui s’enorguellit de sa provenance paysanne et de ce qu’il a gagné ses millions en geignant, et la maman qui voudrait faire oublier cela et pose à la grande dame. Le caractère le mieux venu toutefois est bien celui de l’irrésolu. Disons plus, Françoise est peut-être la plus intéressante de toutes les pièces de George Sand, grâce à ce rôle d’Henri de Trégénec. Ce personnage offre de grandes ressources à l’artiste qui le jouerait. Il est tout en nuances, en scènes mimiques, en brusques changements d’âme. Lorsqu’on parle des œuvres dramatiques de George Sand, on cite le Champi, Claudie, Mauprat ou le Marquis de Villemer et l’on passe sous silence l’irrésolu. Nous croyons qu’avec quelques changements dans les détails, quelques petites adaptations à notre époque, avec quelques coupures de fadaises trop « sucrées » (dans les rôles par trop vertueux de l’héroïne et de l’ami de l’irrésolu, La Hyonnais), on pourrait donner cette pièce avec grand succès. Le rôle d’Henri de Trégénec, nous le répétons, est un rôle fait pour tenter les artistes jouant les «neurasthéniques » modernes.

Ni Lucie, ni Françoise, ni Comme il vous plaira n’obtinrent de vrais succès, quoique George Sand, dans ses lettres à ses amis, parle gaiement de leurs premières représentations.

C’est ainsi qu’elle écrit à M. et Mme Charles Duvernet le 3 avril 1856 :

Mes chers amis, Françoise a eu un grandissime succès ce soir au Gymnase. C’est admirablement joué et monté, avec un luxe qui va toujours de plus en plus fort à cet heureux théâtre. Je vous ai bien regrettés et je vous trouve bien heureux d’être au pays par ce beau soleil.

G. Sand.

Le 13 avril de la même année Mme Sand écrit à Mme Augustine de Bertholdi :

Je t’écris ce soir en revenant du Théâtre-Français. On vient de jouer mon Comme il vous plaira, tiré et imité de Shakespeare. La pièce a été médiocrement jouée par la plupart des acteurs. Les décors et les costumes splendides, le public très hostile, composé de tous les ennemis de la maison et du dehors. Néanmoins, le succès s’est imposé sans que personne ait pu marquer sa malveillance, et Shakespeare a triomphé plus que je n’y comptais. Moi, j’ai trouvé le public bête et froid, mais tout le monde dit qu’il a été très chaud pour un public de première représentation à ce théâtre et tous mes amis sont enchantés.

Françoise va très bien et le succès augmente tous les jours[35].

À l’époque où l’on répétait Lucie, Françoise et le Comme il vous plaira se rapporte la première entrevue de Mme Sand avec Charles Dickens, le grand romancier anglais qui la raconta lui-même dans une lettre à W. Macready. Nous savons que c’est à ce dernier que George Sand avait, peu d’années auparavant, dédié son Château des Désertes. Cette lettre ds Dickens contient, de plus, un curieux portrait de George Sand, à l’âge de cinquante-deux ans, elle devait les atteindre six mois après :

À M. W. L. Macready.
Champs-Élysées, 12 janvier 1806.

J’ai dîné chez la sœur de Malibran, l’admirable Mme Viardot, dont je suis de plus en plus amoureux, avant-hier soir 10 janvier, pour y rencontrer, par faveur spéciale, la très grande, très illustre, très célèbre George Sand. Hélas ! encore une de mes illusions fauchée par la réalité cruelle. L’auteur de tant d’œuvres brûlantes ne ressemble pas du tout au romanesque portrait que je m’en étais fait. Si on me l’avait montrée à Londres, dans la rue, je l’aurais prise pour une des sages-femmes de la reine ; elle est joufflue et respectable, elle est brune avec une légère moustache et des yeux noirs tranquilles ; elle n’a rien du bas-bleu si ce n’est une petite façon finale de faire cadrer vos opinions avec les siennes, qu’elle doit tenir de Nohant, maison de campagne où elle vit en souveraine, dominant et tyrannisant un cercle étroit d’adorateurs. En un mot, brave femme, très ordinaire comme figure, comme conversation, comme manières. Pour ce qui est de son esprit, on le dit très brillant ; mais je n’ai pu en juger ; elle n’a pas daigné le sortir. Le dîner était excellent sans prétention aucune ; il y avait nous, Mme Dudevant et son fils, les deux Scheffer, les Sartoris et une lady quelque chose, nouvellement arrivée de Crimée, qui porte une redingote et fume des cigarettes. Les Viardot ont une maison dans le nouveau Paris ; ils ont absolument l’an d’avoir emménagé la semaine dernière et de devoir déménager la semaine prochaine ; pourtant voici huit ans qu’ils habitent la même demeure. Rien d’ailleurs n’y rappelle l’art de la grande cantatrice. Je n’y ai pas vm de piano. Le mari s’occupe de littérature étrangère. C’est le meilleur des hommes. Quant à elle, j’aime mieux n’en rien dire, sinon qu’elle est parfaite et que je suis son esclave. Je suis obligé d’aller à Londres pour quelques jours ; mon magazine me réclame et l’ami Wills me fait des signes désespérés.

Mme Sand tenta plus tard d’adapter pour la scène française une pièce d’un autre auteur classique encore, Tirso de Molina, en écrivant d’après sa tragédie El Condenado por disconfiado (le condamné pour avoir manqué de foi), un drame intitulé Lupo Liverani. Mais, ayant été trop loin dans ses « arrangements » Mme Sand intitula son drame « nouvelle dialoguée » et elle ne la donna pas au théâtre, mais l’imprima simplement dans la Revue des Deux Mondes. Cette œuvre est très caractéristique et très intéressante ; c’est une version contemporaine de la légende favorite du moyen âge sur le pécheur repentant, ému d’une foi sincère, qui obtient la grâce de Dieu en se sacrifiant par amour du prochain, tandis qu’un moine qui passe sa vie en actes de contrition et d’ascétisme, ne songeant qu’à son propre salut, est condamné aux tourments éternels et tombe dans les griffes du diable.

Les attaques que George Sand eut à soutenir à propos de Favilla, de Comme il vous plaira et de Françoise l’éloignerent-elles de l’art dramatique ? Y eut-il à son silence quelque autre raison ? Nous ne pouvons le dire, mais la pièce suivante, Marguerite de Sainte-Gemme, ne fut représentée qu’en 1859.

Ces trois ans peuvent être considérés comme la seconde période de la passion de George Sand pour les marionnettes. Ce fut l’époque de l’épanouissement définitif de cet art à Nohant.

Les amis de Mme Sand qui la visitèrent dans les derniers dix ans de sa vie ont beaucoup écrit et beaucoup raconté sur les marionnettes de Nohant. Parmi tous ces récits, le plus intéressant est celui de notre vieil ami très regretté, Edmond Plauchut[36]. Dans ses Souvenirs[37], M. Plauchut fait faire au lecteur la connaissance de toute la troupe des marionnettes, le célèbre Balandard en tête, ce petit bonhomme d’une si grande notoriété, présenté plus tard à Flaubert, à Alexandre Dumas fils, à Tourguéniew et au prince Napoléon.

George Sand elle-même écrivit à plusieurs reprises sur les marionnettes de son fils. C’est ainsi qu’on lit dans le Diable aux champs une description pleine de couleur d’un spectacle de marionnettes donné par Maurice et ses amis dans la salle du prieuré, et qu’on peut même faire la connaissance d’une de ses marionnettes, « le diable[38] ».

Puis, en lisant l’article de George Sand Sur les marionnettes de Maurice Sand (publié peu avant la mort de l’écrivain dans le Temps, réimprimé dans le volume des Dernières pages), on peut étudier toute la genèse de ce petit théâtre.

George Sand consacra en outre tout un roman aux aventures d’un imprésario d’un théâtre de marionnettes. C’est l’Homme de Neige, un des romans les plus romanesques de George Sand, qui, avec le Diable aux champs, est un document des plus précieux pour reconstruire l’histoire de cette seconde époque du règne de la passion théâtrale à Nohant, l’époque du théâtre de Guignol, comme le Château des Désertes est un document à l’aide duquel on peut aisément étudier la première et la troisième période de cette passion, celles de la commedia dell’arte.

Qu’aurait fait Hamlet si, au lieu d’une troupe d’acteurs ambulants, il n’avait eu à sa disposition qu’un montreur de marionnettes ? Il aurait probablement profité, pour arriver à ses fins, du secours de ces petits bonshommes de bois. Imaginez maintenant qu’Hamlet lui-même est cet imprésario de marionnettes. Un oncle criminel s’est emparé de son héritage, a tué non seulement son père, mais aussi son grand-père ; il a contribué à faire dépérir sa mère et tenté enfin de tuer Hamlet lui-même dans son enfance. Le malheureux petit a été enlevé du château de ses pères, emmené en Italie, élevé là par un vertueux archéologue et par sa femme. Il se montra à l’instar de Maurice Sand sans goût pour les humanités, ennemi de toutes les études suivies, mais passionné d’histoire naturelle et de collections de toutes sortes. Il devient imprésario de guignol ambulant, voyage à travers toute l’Europe et finalement, par la volonté du sort et de l’auteur, arrive en Dalécarlie dans le château de l’oncle meurtrier pour y donner ses représentations de pupazzi devant me foule d’invités, venus pour y passer les fêtes de Noël. Bien entendu tout cela ne s’effectue pas sans le secours d’un « vieux serviteur », le vertueux Stenson, d’une somnambule, ancienne confidente de feu la mère du malheureux enfant, la paysanne Karina, d’un mystérieux juif Manassé, toujours présent dès qu’on a besoin de lui, et enfin d’un avocat spirituel qui découvre, juste au moment nécessaire, un document important et de vieilles lettres jaunies, pour réintégrer dans ses droits la vertu opprimée et confondre les criminels. Il va sans dire aussi qu’Hamlet — pardon ! l’impresario des marionnettes, a, comme cela est de rigueur pour tout honnête héros du répertoire des marionnettes, une dizaine de noms ; il s’appelle tour à tour, Cristiano Goffredi, puis Cristiano del Lago, puis Monsieur Dulac, Christian Waldo, Christian Goeflé, etc., etc., tandis qu’il se trouve définitivement être le baron Adelstan-Christian Waldemora, neveu du baron criminel Olai, héritier du château de Stelleborg et l’involontaire vengeur de la mort de sa mère, de son père et de son grand-père.

Il va sans dire encore qu’on ne nous fait pas grâce d’un bravo italien poursuivant le jeune Christian à travers toute l’Europe, ni de portes cachées dans la boiserie des murs, etc., etc., etc. Mais ainsi que dans les pièces du répertoire des marionnettes, auxquelles George Sand avait emprunté le canevas archi-embrouillé et naïf de son roman, les affaires n’arrivent jamais très vite à bonne fin. Même après la mort du glacial baron Olai surnommé l’Homme de Neige, et déjà fiancé à l’intrépide jeune comtesse Marguerite, le héros doit subir encore une série d’épreuves et d’aventures. Il chemine vers les contrées septentrionales, voyage en Laponie et jusqu’à Arkhangel, mène la ve d’un pêcheur de poisson et d’un chasseur de fauves, puis devient ouvrier mineur dans les mines de Boraa, manque d’y périr, mais il y rencontre sa fiancée, venue pour visiter ces mines, et finalement il y apprend de la bouche du bienfaisant avocat que le roi a jugé son procès en sa faveur. C’est ainsi que Waldo devient riche et titré et n’a plus à se préoccuper que de pouvoir, un jour, jouer les pièces de marionnettes, pour son propre plaisir et celui de ses enfants. Ce rêve de Christian Waldo fut un jour réalisé par celui qui servit de modèle à Mme Sand.

Les spectacles des marionnettes de Nohant expliquent seuls qu’en 1859, alors que les romans de Balzac, de Flaubert et d’autres réalistes couraient le monde, George Sand, après avoir écrit d’aussi simples histoires que celles de Germain le fin laboureur et de la Petite Fadette, et l’Histoire de ma vie, si vraie, si pleine de couleur, ait pu écrire de telles fadaises. Empressons-nous d’ajouter pourtant que ces fadaises sont contées avec tant de verve, de talent, d’entrain, que nous avons dévoré les trois volumes de l’Homme de Neige fort prestement et avec le plus vif intérêt. Comme biographe de George Sand nous sommes surtout intéressés en observant dans ce roman, comment l’imagination de l’écrivain savait avec des bribes de choses observées dans la vie réelle et des impressions de quelques lectures, construire ses propres œuvres, créer des choses nouvelles.

Nous avons trouvé dans le journal suédois Upsala de 1879 les lignes suivantes très flatteuses pour George Sand, à propos de l’Homme de Neige :

George Sand a dû emprunter la matière de son roman l’Homme de Neige à quelque source suédoise. L’action principale est placée en Dalécarlie durant la guerre d’indépendance. La lutte des partis entre les Hettar et Mössor (les Chapeaux et les Bonnets) remplit le récit et forme l’arrière-fond social La situation politique est tracée d’une manière si vraie et si frappante que cela aurait fait honneur même au jugement d’un auteur suédois. La couleur locale est bien observée, même dans les détails. Il serait intéressant de savoir de quelle source l’autoresse tira ses informations géographiques et historiques. George Sand, comme cela est bien connu, était descendante d’Aurore de Kœnigsmark, un personnage historique de la Suède, et pouvait ainsi prétendre à des aïeux suédois. Cette circonstance aussi n’aurait-elle pas dirigé sou attention sur cet épisode marquant de nos annales nationales ?

Il suffit toutefois d’ouvrir le volume IV de la Correspondance de George Sand pour voir que Mme Sand n’avait nullement tiré de sources suédoises des connaissances paraissant aussi approfondies de l’histoire et de la géographie de la Suède. Elle s’était contentée de la lecture hâtive de quelques livres de voyages. Et le catalogue de la bibliothèque de George Sand et de Maurice Sand (dressé au moment où, en 1889, après la mort de Maurice Sand, Mme Maurice Sand avait dû, à son corps défendant, s’éloigner temporairement de Nohant, c’est alors que cette précieuse bibliothèque fut vendue), ce catalogue nous donne le nom des ouvrages sur la Suède que George Sand avait consultés pour son roman. Ce sont : 1° Suède et Norvège, par Le Bas (avec de nombreuses gravures et cartes, 1841) ; 2° E. Meyer, Contes de la mer baltique (1855) ; 3° Struensée par le même ; 4° Frédérique Brémer : Scènes de la vie dalécarlienne (1847) ; 5° Mémoires de la princesse Frédérique-Sophie de Prusse, sœur de Frédéric II ; et enfin Voyage dans les mers du Nord, par Charles Edmond. C’est cette dernière œuvre, parue en 1857, qui serrât de point de départ à la création de l’Homme de Neige[39]. Disons à ce propos quelques mots sur ce nouvel ami de George Sand.

Lorsque la petite Jeanne Clésinger mourut dans un pensionnat, le père de l’une de ses condisciples renvoya à Mme Sand un objet ayant appartenu à Jeanne et qui était resté entre les mains de sa fillette à lui. Ce père était l’émigré polonais Charles-Edmond Choïechi[40], très connu sous le pseudonyme de son prénom, comme auteur dramatique et rédacteur de la Presse et du Temps, secrétaire intime du prince Napoléon, et enfin sénateur. Cette preuve touchante de sa compréhension des choses de l’âme lui ouvrit d’emblée le chemin du cœur de Mme Sand et, comme en 1852 Mme Sand s’était déjà liée d’amitié avec le patron de Choïecki, le prince Jérôme, l’écrivain polonais devint bientôt un ami de Mme Sand, un familier de sa maison et son homme d’affaires littéraire. En 1856 et 1857 le prince Jérôme fit un grand voyage en Scandinavie, dans l’Océan glacial, à l’île de Spitzberg, en Islande, au Groenland et à l’île Jean May en. Charles Edmond, qui y accompagna le prince, publia à son retour son journal de voyage[41]. Hé bien ! c’est en lisant ce récit de ses impressions polaires, toutes ces descriptions d’aurores boréales, de champs de glace, d’ice-bergs flottants, de chasses aux ours blancs, etc., etc., que George Sand s’engoua du Nord. Et comme elle s’était, de plus, depuis l’époque où elle écrivait Consuelo et avait lu la biographie d’Ulrique de Suède, intéressée à l’histoire de cette contrée, elle créa immédiatement dans son imagination ce canevas d’un « roman suédois » et elle se mit à en développer les détails. Le 20 novembre 1857 elle écrit déjà à Charles Edmond :


Cher ami,

Avant de vous parler d’affaires, je veux vous dire que je me suis enfin mise, ces jours-ci, à lire votre relation du grand voyage, et que, sans aucun compliment ni prévention d’amitié, j’en ai été ravie. J’avais peur d’entamer le gros volume et de le laisser en chemin. Aussi je n’ai pas voulu seulement l’ouvrir avant d’être sûre que je n’aurais plus une comédie de trois actes à faire toutes les semaines pour le théâtre de Nohant. Je suis tranquille à présent et je vous suis à travers les banquises…

Je vas vous suivre en Suède, où, précisément, j’ai posé mon nouveau roman. J’ai feuilleté un peu, avant de lire bien, cette partie du livre. Je vois que vous n’avez pas été en Dalécarlie, où j’ai planté ma tente en imagination. Dites-moi si vous connaissez en français, en italien ou en anglais (je ne sais pas d’autre langue), un ouvrage sur cette partie de la Suède, et un peu de détails sur son histoire au dix-huitième siècle, sous Frédéric Adolphe, le mari d’Ulrique de Prusse. Vous me feriez bien plaisir de me le prêter. Ou indiquez-moi quelque chose que je puisse lire sur ce pays et cette époque ; ou enfin faites-moi un petit précis de quelques pages, si vous avez cela dans la mémoire…

Parlons d’affaires ; ce sera bientôt fait. Vous prendrez le temps qu’il vous faudra pour la publication nouvelle ; vous me donnerez seulement quelque argent si je viens à en avoir besoin, en échange du manuscrit. Voici le titre sauf votre avis : Christian Waldo. Vous me direz que Waldo n’est pas un nom suédois ; c’est possible, mais c’est là justement l’histoire. Ce nom intrigue, même celui qui le porte. Annoncez, si vous voulez, que le roman se passe au dix-huitième siècle, afin qu’on ne croie pas qu’il s’agit de quelque parent de Pierre Waldo, le chef des Vaudois. Ou bien encore, le roman peut s’appeler, si vous croyez le titre plus alléchant : le Château des Étoiles. C’est un Stelleborg de fantaisie qu’un personnage s’est bâti en Dalécarlie, à l’imitation de celui d’Uranienborg dans l’île du Haven[42]. Dans ce château, il se passe des choses bizarres. Espérons qu’elles seront amusantes ; je crois, toute réflexion faite, que ce titre plaira mieux. Décidez. N’annoncez pas une peinture de la Suède ni du dix-huitième siècle ; car le cadre réel sera moins étudié que celui de Bois-Doré[43]. J’y ferai de mon mieux ; mais c’est surtout un roman romanesque que je fais cette fois…

Le 8 décembre elle écrit au même :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Vous êtes bien l’obligeance personnifiée, d’avoir pensé à mes bouquins en dépit des ennuis, des inquiétudes et du mal de tête. Envoyez-moi des ouvrages que vous me citez, ceux que vous me croirez utiles, mon sujet donné. Il me faut une couleur locale de la Dalécarlie au dix-huitième siècle et une couleur historique de la cour, de la ville et de la campagne sous les deux règnes qui précèdent celui de Gustave III. Je ferai bien cette couleur avec les événements ; mais je n’en sais pas le détail, et tout ce que je peux consulter chez moi passe sous silence, ou peu s’en faut, l’affaire des chapeaux et des bonnets.

J’ai les travaux de Marmier publiés dans les vingt-cinq premières années de la Revue des Deux Mondes ; mais ce que je cherche ne s’y trouve pas. Si son Histoire de la Scandinavie ne traite que des temps anciens, elle ne me tirera pas d’affaire. Décidez et faites comme pour vous.

Le 2 janvier 1858, elle lui écrit encore :

…Oui, je vous promets le Château des Étoiles (par parenthèse, il m’amuse beaucoup à griffonner ; est-ce bon signe ?), si ça peut vous être utile, je le promets à vous, pas à d’autres. Si vous quittez, je ne reste pas[44]. Mais vous savez que je serai obligée de vous demander de l’argent, tout l’agent peut-être, en vous livrant le manuscrit ; quelle que soit l’époque rapprochée où il sera prêt. Voyez si c’est possible ; car, pour moi, le contraire de ce possible serait l’impossible.

Je vis au jour le jour depuis vingt-cinq ans, et ça ne peut pas être autrement, et ça n’est pas ma faute ; si bien que je n’ai pas pu acheter un manteau et une robe d’hiver cette année, parce que l’accident de la Presse a dérangé mon ordre, ordre très réel dans ce que les avares appellent mon désordre. Je sais me priver moi-même et de tout, même quelquefois du nécessaire ; mais je ne veux pas qu’un chat s’en ressente et s’en aperçoive autour de moi. Ainsi voilà, entre nous : faites que Ton soit de parole ; on en a manqué pour le Bois-Doré, et j’ai attendu un reliquat de compte qui m’aurait permis de me vêtir en raison de la froidure ; et surtout d’en vêtir d’autres, qui n’ont pas, comme moi, la ressource d’acheter une couverture de laine en guise de ouate et de soie.

Donc, grâce à la couverture de laine, je m’emballe demain matin pour faire douze lieues au grand air. Je vais voir la belle Creuse et ses petites cascades glacées. C’est votre faute si je gèle, à force de lire le Groenland, je me suis amourachée des glaciers, des nuits polaires, des tempêtes et des banquises[45].

[Manceau à qui je vous Us à la veillée espère que nous rencontrerons des ours blancs et il a envie de démolir sa chaumière[46] pour la faire garnir de peau de phoque sur toutes les coutures. Nous serons de retour dans bien peu de jours, écrivez-moi donc comme si de rien n’était.

Dieu veuille que mon Maurice soit gentil, qu’il s’amuse et qu’il n’ennuie pas les autres à la pantomime. S’il n’est pas gêné et intimidé, il sera charmant, mais il lui faudrait sa musique, c’est-à-dire sa maman, pour suivre ses fantaisies ; c’est là où il brille. Or sa maman ne peut aller le faire danser, faute de quibus. Mais ça ne fait rien, je penserai à lui, à vous et je serai bien contente si vous avez un bon moment d’oubli et de gaîté. Moi je ne m’ennuie jamais et nulle part ; il ne faut donc me plaindre que d’être privée de vous voir][47]. Bonsoir.

Nous lisons dans une lettre inédite du 4 janvier 1858, adressée à Maurice qui, séjournant alors à Paris, y avait transplanté son théâtre de marionnettes et s’y amusait à arranger des spectacles de société dans les salons (comme on le voit par les deux lettres précitées et par la lettre du 16 janvier 1858 à Charles Duvernet)[48] :

Je suis contente de te savoir arrivé sans trop de froid, ni d’ennui, mon cher garçon. Dieu merci, car le froid est rude depuis ton départ et aujourd’hui il pince rude… Nous nous portons bien, comme tu nous as laissés, les poules, Manceau et moi. Trianon[49] est tout ratissé et cristallisé. J’ai lu le livre sur la Suède que Choïecki m’a envoyé. Dis-lui que je l’ai reçu, que je l’en remercie et paye-lui une petite dette qu’Émile te remettra, s’il n’a déjà payé. Je vois que la Presse ne reparaît pas et que l’amnistie ne viendra pas[50]. Je me suis remise aujourd’hui à écrire Christian Waldo

Donc partie avec Manceau le 10 janvier pour Gargilesse, par un grand froid, George Sand décrit ainsi son voyage à Maurice :

Nous sommes partis par un brouillard noir et un verglas superbe, Manceau jurant que le soleil allait se montrer, mais plus nous allions, plus le brouillard s’épaississait ; si bien que nous sommes arrivés à la descente du Pin, voyant tout juste à nous conduire. Mais tout d’un coup la Creuse glacée et non glacée par endroits, cascadant, et cabriolant au milieu, tandis que ses bords blancs étaient soudés aux rives, s’est montrée devant tout isolée du paysage, si bien que, si nous n’avions pas su ce que c’était, nous aurions cru voir un mur tout droit de je ne sais quel marbre gris et blanc avec un mouvement fantastique. Et puis, un peu plus loin, sur le brouillard gris-noir de la rivière on voyait des bouffées de brouillard blanc, comme si le ciel, un ciel d’orage, était descendu sous l’horizon. C’était superbe en somme : ça donnait l’idée de l’Écosse, vu qu’au milieu de tout cela apparaissaient des vallées, des petits coins de verdure et des maisons avec leurs feux allumés. Il faisait très doux. Henri[51] conduisait le cheval par la bride sur le chemin tout rayé de glace, et je m’endormais en rêvant que j’étais dans les Highlands…

C’est ainsi que pour écrire son roman suédois, dont la fable est tirée d’un scénario composé par Maurice pour ses marionnettes et dont le personnage principal est comme lui un imprésario de Guignol, lui ressemblant de plus par maint trait de son caractère et de son existence, il avait suffi à George Sand de se pénétrer des impressions d’une excursion hivernale à Gargilesse, jointes aux tableaux des pays septentrionaux, dans le journal de Charles Edmond et à quelques pages de renseignements sur la Suède et la Norvège. Or, nous avons vu combien la critique suédoise avait favorablement jugé ce roman et elle trouva même que l’auteur se connaissait en histoire et en couleur locale suédoises. C’est ainsi que les grands esprits créateurs des savants peuvent, d’après un fragment de poterie ou un débris d’ossature, reproduire la beauté d’une antique amphore ou toute la structure de quelque animal antédiluvien disparu à tout jamais.

Et lorsqu’on lit l’Homme de Neige il est très captivant de rencontrer au milieu des aventures romanesques de Christian Waldo tantôt le reflet de quelques traits ou de quelque habitude de Maurice Sand, tantôt la marionnette favorite de tout Nohant, Stentarello, ou enfin de lire comment Waldo (lisez : Maurice), quelques heures à peine avant la représentation, rebrosse ses décors, dans le but de leur donner plus de ressemblance avec le vrai paysage au milieu duquel se passèrent les événements réels de l’existence de ses parents ; ou encore de lire comment avant le lever du rideau, il se concerte avec un aide que le hasard lui envoie, sur les détails du scénario, ou enfin d’y retrouver les impressions d’une course en traîneau, par une journée glacée, le long d’une rivière dalécarUenne (!) qui tantôt apparaît soudain au milieu d’un brouillard, tantôt y disparaît avec ses rives escarpées, pendant qu’un jeune cocher descend du siège et conduit le cheval par la bride et que le héros s’endort, entouré des bouffées de brouillard et bercé par le pas du cheval ; puis, tout à coup, il se réveille, le brouillard se déchire et il se voit au bord d’un abîme, au-dessus de la rivière noire. Et quoique l’auteur s’efforce de ne pas trop s’éloigner des renseignements des petits bouquins prêtés par Charles Edmond, le paysage que Waldo aperçoit révèle par maint détail que ce n’est pas une vraie rivière suédoise qui ne resterait pas « bouillonnante » mais serait sûrement immobile au milieu des brumes hivernales, et que cet hiver aussi n’est pas un vrai hiver du Nord aux rudes gelées, enchaînant de ses glaces, recouvrant de ses neiges épaisses tout le pays, mais simplement une journée assez froide du doux hiver berrichon, avec une petite gelée bénigne, un peu de neige et de glace aux sommets, dits « sibériens « , de la vallée de la Creuse, fl y a même un petit détail très local qui trahit le romancier : Waldo voit, çà et là, des feux allumés, mais ce ne sont ni des brasiers auxquels se réchauffent de pauvres voyageurs des pays du Nord, ni même de ces bûches allumées par des cochers, comme on le voit à Saint-Pétersbourg, lorsque le thermomètre marque 20° Réaumur au-dessous de zéro, non ! on allume ces feux… seulement pour préserver du froid les arbres fruitiers, comme cela se pratique dans les pays du Midi, lorsque l’hiver est exceptionnellement rigoureux. Il est très certain que cette « Dalécarlie » là ne se trouve pas bien loin de Gargilesse, tout bien observée que soit la couleur locale suédoise. Il est d’autant plus surprenant que George Sand ait su si bien peindre les tableaux de la vie suédoise : les bruyantes et allègres fêtes de Noël dans un vieux castel aux bords d’un lac gelé ; de gaies parties de plaisir éclairées par des torches et les reflets de l’aurore boréale ; des courses de vitesse en traîneaux ; des chasses à l’ours ; que par deux ou trois traits rapides, par quelques phrases jetées en l’ah* pendant un bal ou pendant les préparatifs d’un pique-nique, elle sût esquisser toute une époque historique, la lutte des bonnets contre les chapeaux, c’est-à-dire la lutte de la Suède progressive, portée vers l’alliance avec la France, et de la vieille Suède, des courtisans rétrogrades qui couvent l’idée d’une convention avec la Russie. Il va de soi que le « malfaiteur », le baron Olai et son alliée, la tante de la comtesse Marguerite, sont pour la Russie et pour les chapeaux, tandis que Marguerite elle-même, Christian Waldo et tous ses amis fraîchement acquis, de jeunes officiers suédois, pour la France et les bonnets démocratiques. Grâce à tout cela et malgré l’incroyable romantisme de la donnée générale, ce roman se lit avec grand intérêt. Il est surtout intéressant dans le cadre du présent chapitre, comme une œuvre nous renseignant pleinement sur le théâtre de marionnettes de Nohant, nous peignant la passion de George Sand pour ce théâtre et prenant place à côté du Diable aux champs et de l’article Sur les marionnettes.

George Sand fit plus tard un tour de force : elle écrivit un roman dont les héros sont les marionnettes de Nohant devenues hommes : le célèbre Balandard, Moranbois, Ida, Isabelle, Léandre, etc., qui, pour être devenus hommes et acteurs d’une troupe ambulante, n’en gardent pas moins leurs caractères et leurs traits typiques traditionnels, connus de tous les spectateurs du théâtre de Nohant. De plus, ces poupées animées ont à passer par toutes les aventures et toutes les épreuves habituelles aux pièces de pupazzi de Maurice Sand, jusqu’à un voyage dans un royaume des Balkans ! Ce roman, dont la première partie s’appelle Pierre qui roule et la seconde le Beau Laurence, parut en 1869 et fut dédié au célèbre acteur Berton père. Il ne peut nullement être compté parmi les chefs-d’œuvre de Mme Sand.

La course aux bords de la Creuse par une journée d’hiver fut comme un dernier coup d’épaule dans la création du roman suédois. Les visites de plus en plus fréquentes vers 1855 au théâtre de La Châtre, alors que quelque troupe de province ou des acteurs parisiens en tournée y jouaient, enfin les relations avec divers acteurs, trouvèrent leur écho dans un roman qui parut la même année que l’Homme de Neige, Narcisse. Ce nom n’appartient pourtant nullement à quelque cabotin amoureux de lui-même, c’est le nom d’un modeste restaurateur de province, dont l’établissement se trouve adossé d’un côté au théâtre et de l’autre à un couvent de religieuses. Les habitants de La Châtre n’eurent point tort de reconnaître leur ville bienheureuse dans le prétendu bourg de la Faille sur Gouvre[52] où l’action de ce roman est censée se jouer, car non seulement tous ceux qui visitèrent La Châtre reconnaîtront d’emblée cette ville par ce détail topographique, mais aussi chaque lecteur de l’Histoire de ma vie se souviendra, d’abord confusément, d’avoir lu quelque part la description d’un théâtre adossé à un couvent de religieuses ou se trouvant même sous le même toit que cette communauté. Et en ouvrant l’Histoire il retrouvera effectivement dans le chapitre vii, p. 204-205, du volume premier et p. 55-56 vol. III la description de ce même emplacement qu’on voit dans Narcisse. Or, le roman aurait pu prendre le titre de la toute première œuvre de George Sand[53], la Comédienne et la Religieuse, car ses deux héroïnes sont : l’actrice Julia — passionnée, désordonnée, ne sachant point se maîtriser, nous dirions « hystérique », et la jeune « chanoinesse », Juliette, qui, quoiqu’elle n’ait point pris le voile, a quitté le monde et s’est dévouée à élever des orphelines. Elle manque de devenir la rivale de Julia, en aimant le même homme, un acteur dévergondé, elle le sauve pourtant, par la force de ses raisonnements et ses soins maternels, d’un abaissement définitif, et le ramène dans la bonne voie. Quant à elle, elle meurt n’ayant pu supporter le choc de la dure prose de la vie. Elle épouse in extremis Narcisse qui l’aimait depuis longtemps avec abnégation. Ce qui est le plus intéressant dans le roman, c’est sans doute le commencement où nous voyons peints en traits réalistes (et il faut noter ce reflet du naturalisme, alors à ses débuts), les mœurs et les us de La Châtre, les soirées de théâtre dans cette ville et enfin les deux natures d’artistes-viveurs : la Julia dépourvue d’équilibre, se jetant toujours dans les extrêmes, et Albani vivant aux dépens des autres, se drapant toujours dans de grands sentiments, mais vaniteux, superficiel et veule.

Nous rencontrons, plus sympathique et mieux dessiné, ce même type d’actrice sans frein dans ses entraînements, passionnée, emportée, mais au fond bonne et charitable en la personne de la Mozzeli dans le roman de Constance Verrier. La Mozzeli raconte son existence orageuse à ses deux amies, dont Tune est bourgeoise, Constance Verrier, jeune fille pleine de foi dans la vie, et l’autre — grande dame, la duchesse d’Évreux, beauté glaciale et sceptique se livrant en secret à toutes ses fantaisies amoureuses, ne croyant plus à l’amour, désenchantée par les épreuves de sa vie conjugale, portant le masque hypocrite de la vertu, mais se contentant d’en sauver les apparences. La Mozzeli et la duchesse médisent également de l’amour et des hommes, dont toutes les deux ont souffert, tandis que Constance glorifie l’amour fidèle et éternel, parce qu’elle a un fiancé qu’elle aime et dont elle est aimée depuis de longues années déjà. Il se trouve que la Mozzeli et la duchesse ont été toutes les deux, dans la même quinzaine, les maîtresses du fiancé de Constance. Celui-ci, malgré cela, prétend n’avoir jamais cessé d’aimer la jeune fille, mais ses voyages et la durée de ses fiançailles l’ont empêché d’observer une complète abstinence. Constance est sur le point de mourir de désespoir, puis finalement elle pardonne et épouse son infidèle Raoul… L’histoire est assez dégoûtante et, grâce à d’interminables discussions sur l’amour, extrêmement ennuyeuse. Il n’y a d’intéressant que le portrait de la Mozzeli, sûrement peint d’après nature, car il rappelle par maint trait et maint détail Marie Dorval, et celui de la duchesse, dont les théories de l’amour sont évidemment transcrites d’après les discours entendus de la bouche de la glaciale Solange et de la sceptique comtesse d’Agoult. Il est très curieux de noter aussi que toutes ces dames se rencontrent dans le salon d’une certaine Mme Ortolani (lisez : Marliani) qui, elle aussi, est peinte sur le vif. Donc dans Constance Verrier nous rencontrons de nouveau un type entrevu dans le milieu cabotin, ce qui est naturel, car ce roman fut écrit à l’époque du plus grand engouement de George Sand pour le théâtre, en 1859.

Deux autres romans de George Sand doivent également leur existence à cette passion pour tout ce qui est théâtre, dans deux sens différents : la Filleule, publiée en 1853, reflète cet amour de l’auteur pour le théâtral, le romanesque à outrance qui, malheureusement, trouvait une pâture toujours renouvelée dans les comédies improvisées et les pièces de marionnettes, jouées à Nohant ; Adriani est l’histoire d’une pauvre femme qui se meurt de désespoir après la mort de son mari et que le chant inspiré d’un artiste ramène à la vie. Il y a tel trait de caractère de cet Adriani qui rappelle le grand chanteur Nourrit ; désireux de donner son art et son talent gratis à ceux qui sont capables d’en jouir et d’en profiter, il voudrait en même temps se dérober aux ovations de la foule et il est insensible à la vanité. Mais ce n’est pas lui, ni la malheureuse Laure qu’il console, qui nous intéressent dans ce roman, c’est son valet de chambre, Comtois.

Ce bonhomme-là qui, entré au service d’Adriani, nous raconte à sa manière dans un journal qu’il tient ad hoc, tous les événements de la vie de son maître, c’est lui qui nous ravit, on éprouve un si grand plaisir à lire ses amusantes élucubrations, que lorsque au cours du roman, elles sont de plus en plus souvent interrompues par la narration des amours de Laure et Adriani[54], puis leur font définitivement place, on le regrette sincèrement. Et le biographe de George Sand doit, à ce propos, noter une fois de plus l’infiltration inconsciente du réalisme dans les œuvi-es du plus romanesque des romanciers.

En 1859, année de la publication de Constance Verrier, fut jouée Marguerite de Sainte-Gemme. On trouve, au début de la pièce, certaines données qui, mieux développées, auraient pu servir à rendre intéressants les deux personnages principaux, mari et femme (à ce propos il faut remarquer que l’auteur nous laisse ignorer jusqu’au bout pourquoi cette dame continue à s’appeler de son nom de jeune fille après tant d’années de vie conjugale avec le sieur Désaubiers). Il y a, dans les rôles de ces deux personnages, des détails curieux, surtout dans celui de Désaubiers, ancien viveur, léger, mais bon garçon au fond ; malgré sa cinquantaine, un fils adulte de son premier mariage et sa seconde femme, il ne peut abandonner ses fredaines, se croit toujours jeune, et végète sous la pantoufle de son énergique épouse, charmante, pleine d’esprit et de bon sens, mais vertueuse à faire peur ! Cette donnée pouvait donner matière à une jolie comédie. Il n’en fut rien, la pièce est dépourvue de tout mouvement dramatique et de tout intérêt.

Après 1859, toutes les pièces de George Sand, à l’exception de Lupo Liverani dont nous avons parlé plus haut, sont ou des « nouvelles dialoguées », destinées à n’être jouées qu’à Nohant et non sur les théâtres parisiens et seulement plus tard refaites à cet usage, avec, ou sans le consentement de leur auteur, par d’autres personnes (tels sont le Drac, le Pavé, Plutus, la Nuit de Noël, la Laitière et le Pot au lait, Un bienfait n’est jamais perdu[55], ou bien ce sont des pièces tirées de ses romans en collaboration avec d’autres (Maurice Sand, Paul Meurice, Cadol, Dumas fils, tels le Lis du Japon, tiré d’Antonia, le Marquis de Villemer, Cadio, Mlle La Quintinie), ou même simplement elles sont écrites d’après ses romans par des étrangers sans sa participation (par exemple les Beaux Messieurs de Bois-Doré[56]. Ce n’est que l’Autre, la toute dernière œuvre dramatique de Mme Sand, qui fut écrite par elle seule et jouée en 1870 (il faut noter que le rôle de la jeune fille y fut créé par une (( toute jeune actrice à la voix d’or », Mlle Sarah Bernhardt). Selon nous, si l’on excepte le Marquis de Villemer, dont nous parlons plus loin, et Mlle La Quintinie qui, du vivant de l’auteur, ne vit jamais la rampe[57], il n’y a d’intéressant parmi toutes ces œuvres dramatiques que la nouvelle dialoguée d’après Hoffmann, la Nuit de Noël, une version de ce même poème en prose qui fit écrire à Tchaïkowski une si ravissante musique de ballet — le Casse-noisettes.

George Sand redit encore une fois dans la Préface de cette pièce qu’elle s’était, dès sa jeunesse, toujours enthousiasmée pour les poétiques créations de Hoffmann, où le fantastique se mêle d’une manière si naturelle au réel ; elle dit avoir admiré de tout temps son Maître Floh ; elle se sentait attirée par le personnage de Pérégrinus. En en faisant le héros principal de sa pièce et en gardant plusieurs scènes de Hoffmann : les joujoux animés, le bal des souris et l’apparition du spectre, George Sand plaça au centre de l’action sa thèse favorite : la victoire du sentiment sur la froide raison, de la foi sur le doute, du sacrifice et de l’amour spontané sur l’égoïsme et la réflexion. Il est fort probable que la Nuit de Noël, écrite en 1863, doit son existence à la reprise de la correspondance de Mme Sand avec son vieil ami Dessauër, « le maître Favilla » chéri qui avait toujours semblé à Mme Sand l’incarnation des types de Hoffmann ; il vint même bientôt faire une petite villégiature à Nohant. La Nuit de Noël fut représentée sur le théâtre de Nohant et le rôle de Pérégrinus joué par Manceau. Dans sa lettre à Édouard Cadol qui commençait alors sa carrière d’auteur dramatique et s’était récemment lié d’amitié avec Mme Sand et toute sa famille, George Sand écrit le 9 février 1863 : « Nous avons joué notre pièce ( « merveilleusement joué, » dit-elle plus haut) et fermé le théâtre. Je regrette que vous n’ayez pas vu Manceau dans le rôle de Pérégrinus ; c’est un idéal de naïveté poétique et fantastique. Clerh nous a tous surpris, il a été excellent. »

Manceau lui-même, comme nous allons le voir plus loin, rappelait par maint trait de son caractère le type de Hoffmann qu’il représentait, un cœur simple, pensant aux autres plus qu’à lui-même, nature rêveuse et un peu fantasque[58].

George Sand lui dédia une autre pièce destinée au théâtre de Nohant, Plutus d’après Aristophane. Elle écrit à propos de cette pièce à Ed. Rodrigues (nous parlons dans le prochain chapitre de la correspondance amicale de George Sand avec Ed. Rodrigues qui ne fait point partie des six volumes de sa Correspondance imprimée) :

28 novembre 1862.

Je viens de traduire en français une traduction en vilain français du Plutus d’Aristophane et j’y ai mis une fable, une sauce dans la couleur, pour en faire une de ces pièces de fantaisie que nous jouons ici en famille. C’est assez curieux à la lecture et je le publierai[59]. On y voit, dans tout ce qui est réellement d’Aristophane, une poésie terre-à-terre, toute de bon sens pratique et dans le goût du stoïcisme antique mitigé, qui est fort curieuse et toujours acceptable, par beaucoup d’endroits. Pourtant cela est suranné et va trop loin, dans le sens de la proscription des richesses. Il ne serait pas bon que l’homme actuel se condamnât à ne pas sortir de la possession du strict nécessaire. Les arts et les sciences n’y gagneraient pas et la civihsation se trouverait fort entravée. C’est ce que j’ai fait entendre dans un prologue de ma façon[60].

Il faut dire en général que le temps fut plus implacable envers les pièces de George Sand qu’envers ses romans : elles ont beaucoup plus vieilli. Et pourtant, au moment de leur apparition sur la scène, eUes excitaient souvent par leur « audace » des horions, et Mme Sand dut mainte fois défendre cette « audace » dans ses Préfaces et entrer en polémique ouverte avec MM. les critiques. Cela eut lieu comme nous avons vu à propos du Démon du foyer, lorsque le critique de l’Indépendance belge, Jules Lecomte, déchaîna ses foudres contre elle ; ce fut la même chose à propos de Maître Favilla, critiqué à outrance par Jules Janin, ainsi que toutes les autres pièces de George Sand. Or, George Sand voulait bien admettre avec sa modestie habituelle[61] qu’elle était dénuée de talent dramatique, elle observait cependant que les procédés qu’on employait pour la juger ne relevaient pas du domaine de la critique : les jugements portés sur ses pièces étaient empreints de parti-pris. Elle écrit à ce propos à Édouard Charton dans sa lettre du 20 novembre 1858 :

Que vous dire de moi, maintenant, à propos de théâtre ? je ne sais pas. C’est un jour oui et un jour non. Ai-je du talent pour cela ? Je ne crois pas ; j’ai cru qu’il m’en viendrait, je me dis encore quelquefois sous mes cheveux gris, qu’il peut m’en venir. Mais on a tant dit le contraire que je n’en sais plus rien, et que j’en aurais peut-être eu pure perte. Si les auteurs sont rares et mauvais, comme vous le dites, c’est peut-être bien la faute du public, qui veut de mauvaises choses, ou qui ne sait pas ce qu’il veut Montigny m’écrivait dernièrement : « Que faut-il faire pour le contenter ? Si on lui donne des choses littéraires, il dit que c’est ennuyeux ; si on lui donne des choses qui ne sont qu’amusantes, il dit que ce n’est pas littéraire. Le fait m’a paru constant dans ces dernières années. On se plaignait de voir toujours la même pièce ; mais toute idée nouvelle était repoussée ? Que faire. N’y pas songer et écrire quand le cœur vous le dit. » C’est ce que je ferai quand même…

Il est très curieux aussi de noter que, tandis que le vieil ami de Mme Sand, Eugène Delacroix, toujours à propos de Favilla, écrivait dans son journal à la date du 12 janvier 1856 : « Excellente donnée que la pauvre amie n’a pas fait ressortir, » et ajoutait :

Cette obstination à poursuivre un talent qui lui manque, la classe dans un rang inférieur. Il est bien rare que les grands talents ne soient pas portés d’une manière presqu’invincible vers les objets qui sont de leur domaine. On peut s’abuser dans sa jeunesse, mais plus tard non…

Tandis que cet ami jugeait si sévèrement Mme Sand, ce fut Émile Zola, l’ennemi du romantisme, qui défendit et le talent dramatique de George Sand et son droit à introduire dans des œuvres dramatiques des éléments que l’on prétend impropres pour la scène, et en général le droit de sortir du cadre convenu en littérature dramatique. Et à ce propos nous lisons dans le volume Auteurs dramatiques de Zola les lignes suivantes :

…Longtemps on lui a refusé tout talent dramatique, comme on en refuse d’ordinaire chez nous aux romanciers ; pour la critique, quiconque écrit un livre ne peut écrire un drame. Seulement après de grands succès, George Sand dut être reconnue pour un dramaturge, sinon très habile, du moins très large de facture et d’une émotion profonde. Elle triomphe au théâtre par son honnêteté, le sentiment calme et tendre qu’elle avait des passions.


On ne peut dire mieux pour juger George Sand, auteur dramatique, et c’est par ces lignes impartiales, équitables et justes que nous terminons le chapitre du Théâtre de George Sand.

  1. V. George Sand, sa vie et ses œuvres, vol. II, p. 143-146.
  2. George Sand, sa vie, etc., t. Ier, p. 124.
  3. V. George Sand, sa vie, etc., vol. III, chap. vi, p. 509.
  4. C’est tout à fait la manière de procéder pratiquée de nos jours par les sociétaires du Théâtre Artistique de Moscou.
  5. V. plus haut la lettre à Augustine datée du 28 avril 1861.
  6. V. le vol. précédent, chap. vi.
  7. V. la préface du Château des Désertes.
  8. Pour remercier George Sand de ce succès moral et matériel remporté par son théâtre, Bocage commanda au peintre Adolphe Leleux et fit cadeau à Mme Sand d’un tableau représentant la scène du Champi, où Jacques Bonnin demande la main de Mariette, la coquette nièce de Madeleine Blanchet. (V. l’article de M. Clément de Ris dans l’Événement du 29 avril 1850.)
  9. Cette pièce, quoique refaite plus tard, ne fut pas jouée et ne fut qu’imprimée dans la Presse en décembre 1851 et janvier 1852.
  10. Le Château des Désertes, l’Homme de Neige, le Diable aux champs, Pierre qui roule, etc., etc.
  11. C’était Nello, la première version de Maître Favilla.
  12. Léon Villevieille, peintre, ami de Maurice et de Lambert. On lui donnait à Nohant le sobriquet de Paloignon.
  13. Bien sûr une pièce de Paul-Henri Foucher, auteur dramatique de l’époque fort connu.
  14. Francis Ponsard.
  15. Gounod avait alors l’intention de faire un opéra tiré de l’un des contes champêtres de George Sand et dont le texte devait être écrit par Ponsard. Mais le mariage de Gounod et sa querelle avec les époux Viardot qui suivit, rompit aussi complètement les relations entre le grand compositeur et George Sand, et cette affaire tomba à l’eau. Ce fut Gounod néanmoins qui écrivit la musique d’une autre pièce de George Sand : Maître Favilla.
  16. Publié déjà dans la Rousskaya Mysl en septembre 1904.
  17. Lettre inédite à Mme Augustine de Bertholdi du 24 février 1851.
  18. Cette seconde lettre de Flaubert, datée du 10 mars, est arbitrairement fondue, dans le volume de la Correspondance de George Sand et de Flaubert publiée en 1904, en une seule avec la précédente, datée du 8 mars, comme si c’en était la seconde moitié, tandis qu’il est de toute évidence qu’elle répond à la réponse de George Sand du 9 mars : « Tu méprises Sedaine, gros profane ! voilà où la doctrine de la forme te crève les yeux. » C’est ainsi que Mme Sand commence sa lettre et elle la termine par les mots (qui sont une réponse aux derniers mots de la lettre de Flaubert du 8 mars : « Lisez donc le nouveau roman de Zola Son Excellence Eugène Rougon, je suis curieux de savoir ce que vous en pensez. « ) : « Dis donc à M. Zola de m’envoyer son livre ; je le lirai certainement avec grand intérêt. » Et Flaubert commence sa lettre du 10 mars par les mots : « Non, je ne méprise pas Sedaine, parce que je ne méprise pas ce que je ne comprends pas… » et il la termine ainsi que suit : « J’ai écrit à Zola pour qu’il vous envoie son bouquin… » (V. Corresp. de G. Sand et Flaubert, 1904, Paris, Lévy, p. 446-449.)
  19. Dans la pièce imprimée dans le volume II du Théâtre de George Sand ce mot est remplacé par le mot spectacle.
  20. C’est ainsi que la phrase est exactement transcrite dans la Lettre de George Sand à M. Jules Lecomte. Dans le vol. II du Théâtre on lit : Elle les a vus au théâtre ou dans les romans. Un tas de chenapans qui font et disent les choses les plus bêtes. »
  21. Lafontaine avait joué le jeune premier de la pièce, le Marquis.
  22. Lemaître.
  23. V. plus loin la lettre inédite de îlme Sand à propos du changement apporté par Rouvière dans la dernière scène de Favilla, ce qui exigea aussi un changement dans le décor et la mise en scène de cet acte.
  24. Inédite.
  25. Mme Sand écrit à son fils, à propos de ce projet jamais exécuté, la très intéressante lettre que voici :
    « …Tu me dis que tu as vu Frédéric, Hetzel de son côté, doit l’avoir vu, et doit lui avoir remis le manuscrit. Revois-le, je te prie, et dis-lui que je serai enchantée de le recevoir, que je ferai tous les changements qu’il jugera convenables, et que je lui ferai tous les rôles qu’il me demandera et m’indiquera un peu. Quand on a la bonne volonté d’un artiste comme lui, cela rend le courage. Mais dis-lui que la Porte Saint-Martin m’a demandé Mauprat et que j’ai promis. On veut le jouer en septembre. C’est précisément le temps où il doit lui-même jouer Nello aux Variétés. S’il voulait jouer Jean le Tors, j’en ferais un personnage plus développé qu’il ne l’est dans le roman. Mais alors, il faudrait changer l’époque de la représentation de Nello ou celle de Mauprat. Qu’il vienne me voir, nous tâcherons d’arranger tout à sa satisfaction. Mais il faudrait que ce fût dans le courant de mai, car je ne peux guère me mettre à l’ouvrage plus tard. S’il voulait essayer Nello ici, nous lui donnerions bien la réplique. Lambert ferait Hermann et tu nous amènerais une jeune première quelconque. Dis-lui que s’il nous donnait huit ou dix jours, nous ferions peut-être de Nello un chef-d’œuvre, avec ses idées et sa création, et qu’en causant avec lui je serais capable d’en faire d’autres pour lui.
    « Dis-lui donc de lire Marielle dans la Revue de Paris et demande-lui si, en retranchant l’acte du déjeuner qui ressemble à Molière, et en arrangeant certaines parties, il ne pourrait pas jouer cela. C’est un rôle que Marielle ! Les journaux qui l’ont loué, ne pourraient plus le démolir. Aux Variétés nous aurions Paulin Ménier pour jouer Florimond, Mlle Clarisse pourrait jouer Sylvia qui est une fille de trente ans, je crois. Les ressemblances avec Molière seraient à changer. On en viendrait à bout… »
  26. Léopold Barré, acteur.
  27. Gustave Vaëz.
  28. Édouard Charton.
  29. Homme d’affaires de Mme Sand.
  30. Jules-Isaac Mirès, grand brasseur d’affaires (1809-1871).
  31. Collier l’éditeur. V. le chap. suivant.
  32. Corresp., t. IV, p. 68.
  33. Jules-Jean-Baptiste-Hippolyte Hostein.
  34. Charles Isarrey.
  35. Corresp., t. IV, p. 88.
  36. Edmond Plauchut, écrivain fort connu, collaborateur fidèle du Temps et de la Revue des Deux Mondes, né en 1814, mort en 1909.
  37. Autour de Nohant.
  38. V. plus haut chap. viii, p. 148-153.
  39. M. Francis Laur prétendit plus tard que ce fut lui qui raconta un jour à George Sand une histoire qui fut le germe d’où sortit ce roman. Ceci est inexact. Les faits prouvent autre chose.
  40. Charles-Edmond Choïecki naquit en novembre 1822 et mourut en 1899, à Paris. Nous avons déjà parlé de lui dans le chap. ix de ce volume.
  41. Voyage dans les mers du Nord.
  42. Bien certainement qu’après avoir pris connaissance des livres envoyés par Choïecki, George Sand vit nue « Stelleborg « était un nom bon tout au plus pour le théâtre des marionnettes de Nohant, qu’en suédois « Stelleborg » ne signifie rien, qu’il aurait fallu dire Stierneborg pour Château des Étoiles — mot qui écorcherait les oreilles françaises — et en rejetant son premier titre, elle intitula son roman l’Homme de Neige. À ce propos il faut noter que le « bibliophile Isaac » (le vicomte de Spœlberch) cite à la p. 32 de son Étude bibliographique sur les œuvres de George Sand, le Château des Étoiles, parmi les « ouvrages annoncés qui n’ont jamais paru ». Or, il est évident qu’il ne faut nullement l’inscrire dans ce nombre, ce roman et l’Homme de Neige ne faisant qu’un.
  43. Ce roman parut dans la Presse à la fin de 1857. V. plus loin, chap. xi.
  44. Il faut noter que George Sand rentra par ce roman à la Revue des Deux-Mondes, où ses œuvres ne paraissaient plus depuis 1841. (V. notre vol. III, p. 230-234, 256 et suiv.) Ce rapprochement de l’écrivain avec la revue s’effectua un peu contre le désir de Mme Sand et seulement grâce à ce que Charles-Edmond ayant déjà payé le manuscrit que la Presse ne pouvait payer comptant, il le céda au directeur de la Revue des Deux Mondes. Ce fut donc pour le Château des Étoiles à peu près la même histoire que pour le Château des Désertes en 1851. Mais à partir de 1868 les romans de Mme Sand commencèrent à réapparaître de plus en plus souvent dans la revue de Buloz et finirent par y reprendre leur résidence fixe.
  45. À comparer avec la lettre du 17 décembre 1857 au prince Jérôme dans laquelle Mme Sand déclare qu’en « lisant son voyage dans le Nord, son imagination était très allumée ».
  46. À Gargilesse. Nous racontons dans le chapitre suivant comment Manceau avait acheté un pied-à-terre dans ce village, pour que Mme Sand eût un lieu de repos et de travail tranquille pendant ses courses aux bords de la Creuse renouvelées en 1857 après une interruption de dix années.
  47. Tout le passage de la lettre du 9 janvier que nous entourons de crochets est médit, il manque dans le vol. IV de la Correspondance, où il devrait faire suite aux lignes imprimées à la p. 127.
  48. Correspondance, t. IV, p. 135.
  49. C’est ainsi que Mme Sand appelait un minuscule jardinet qu’elle piochait et ratissait elle-même dans le parc de Nohant ; elle lavait arrangé pour la petite Nini Clésinger, mais à cette place même sa mère, Mme Sophie Dupin, avait jadis arrangé un petit jardin fantastique avec grotte et cascade pour la future George Sand, alors une enfant de huit ou neuf ans. (V. l’Histoire de ma vie, t. II, p. 275-279.)
  50. V. plus loin chap. xi, p. 369.
  51. Henri Sylvain, cocher de George Sand (v. notre vol. III, p. 659).
  52. Nous avons raconté dans notre vol. II comment George Sand avait en passant répondu dans la Préface de Jean de la Roche aux récriminations des habitants de La Châtre qui avaient reconnu leur ville, le vrai but de cette préface ayant été de répondre aux procédés hostiles de Paul de Musset qui avait reconnu dans Elle et Lui le portrait de son frère Alfred et les détails de son roman vécu.
  53. Rose et Blanche ou la Comédienne et la Religieuse (v. notre vol. Ier p. 336-340).
  54. C’est sous ce titre que le roman fut publié par Hetzel en Belgique, avant sa publication dans le Siècle.
  55. Imprimé dans le même volume que Fronda, c’est un proverbe, écrit en 1872.
  56. V. la lettre de George Sand à M. Chilly datée du 4 avril 1862. (L’Entracte du 6 avril 1862.)
  57. Mlle La Quintinie fut jouée au Théâtre des Arts à Bruxelles.
  58. Mme Sand écrivait quelques jours plus tard à sa belle-fille à Paris : « Manceau a dû écrire ce matin à Maurice que tout le mobilier était arrivé sain et sauf. Il a passé la journée entière, ce pauvre Pérégrinus, à déballer, ranger, séparer et en somme tout est admirablement placé sous la main et vous n’avez plus qu’à distribuer comme vous l’entendrez… Je me porte bien et Pérégrinus pas mal… »
  59. Plutus fut en effet publié dans le numéro du 1" janvier 1863 de la Revue des Deux Mondes.
  60. Lettre du 28 novembre 1862 (Revue de Paris du 1er octobre 1899).
  61. Il est très intéressant de lire à ce propos sa lettre du 23 août 1859 à Bocage, imprimée dans le recueil des Lettres autographes composant la collection de M. Alfred Bovet, décrites par Étienne Charavay, ouvrage imprimé sous la direction de Fernand Calmettes. (Paris, Charavay, 1882, in-4"). À cf. aussi avec sa lettre à Maurice du 10 juin 1858 (Corresp., t. IV, p. 169-141) où elle parle avec une bonhomie pleine de gaieté du peu de succès de ses pièces.