Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/321

Cette page n’a pas encore été corrigée

… Votre Fête de l’Ascension est une promesse bien sainte et bien solennelle de ne jamais briser la coupe fraternelle où vous buvez avec les hommes de la forte race le courage et la douleur. Faites beaucoup de poésies de ce genre, afin qu’elles aillent au cœur du peuple et que la grande voix que le ciel vous a donnée pour chanter au bord de la mer ne meure pas sur les rochers, comme celle de la Harpe des tempêtes. Prenez dans vos robustes mains la harpe de l’humanité et qu’elle vibre comme on n’a pas encore su la faire vibrer. Vous avez un grand pas à faire (littérairement parlant) pour associer vos grandes peintures de la nature sauvage avec la pensée et le sentiment humain. Réfléchissez à ce que je souligne ici. Tout l’avenir, toute la mission de votre génie sont dans ces deux lignes…

… Au reste la difficulté que je vous propose d’associer, en d’autres termes, le sentiment artistique et pittoresque avec le sentiment humain et moral, vous l’avez instinctivement résolue d’une manière admirable en plusieurs endroits de vos poésies. Dans toutes celles où vous parlez de vous et de votre métier, vous sentez profondément que si l’on a du plaisir à voir en vous l’individu parce qu’il est particulièrement doué, on en a encore plus à le voir maçon, prolétaire, travailleur. Et pourquoi ? C’est parce qu’un individu qui se pose en poète, en artiste pur, en Olympio, comme la plupart de nos grands hommes bourgeois et aristocrates, nous fatigue bien vite de sa personnalité. Les délires, les joies et les souffrances de son orgueil, la jalousie de ses rivaux, les calomnies de ses ennemis, les insultes de la critique, que nous importent toutes ces choses dont ils nous entretiennent ?…

Les hommes ne s’intéressent réellement à un homme qu’autant que cet homme s’intéresse à l’humanité. Ses souffrances ne trouvent d’intérêt et de sympathie qu’autant qu’elles sont subies pour l’humanité. Son martyre n’a de grandeur que lorsqu’il ressemble à celui du Christ ; vous le savez, vous le sentez, vous l’avez dit. Voilà pourquoi votre couronne d’épines vous a été posée sur le front. C’est afin que chacune de ces épines brûlantes fît entrer dans votre front puissant une souffrance et le sentiment d’une des injustices que subit l’humanité. Et l’humanité qui souffre, ce n’est pas nous, les hommes de lettres ; ce n’est pas moi, qui ne connais (malheureusement pour moi, peut-être) ni la faim, ni la misère, ce n’est pas même vous, mon cher poète, qui trouverez dans votre gloire et dans la reconnaissance de vos frères une haute récompense de vos maux personnels ; c’est le peuple, le peuple ignorant, le peuple abandonné, plein de fougueuses passions qu’on excite dans un mauvais sens, ou qu’on refoule, sans respect de cette force que Dieu ne lui a pourtant pas donnée pour rien. C’est le peuple livré à tous les maux du corps et de l’âme, sans prêtres d’une vraie religion ; sans compassion et sans respect de la