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l’âme qui arriva par une série de cruelles désillusions à ne vouloir paraître aux étrangers que sous cet aspect-là, qui se retranchait derrière un mur pour éviter la calomnie, la substitution de la vérité et les mauvaises intentions. Combien volontiers j’aurais dit à la femme de génie : « Ne craignez donc rien ! On peut craindre ceux qui nous haïssent, parfois même ceux qui nous aiment. Jamais ceux qui nous vénèrent et nous admirent. »

Mes amis attendaient avec grande impatience la nouvelle de l’impression que me fit George Sand.

— Eh bien, vous êtes désabusé comme tous ceux qui l’ont vue ? me demandait-on de tous côtés.

— Je ne suis pas désabusé, répondis-je. Je la trouvai toutefois autre que je me la représentais. Mais d’une manière ou d’une autre, elle me laissa une fois de plus pénétrer au fond de l’âme humaine…

Gutzkow sut très finement noter l’état d’âme de George Sand, sa retenue vis-à-vis des inconnus, son désir de se cacher, de se voiler, et il comprit que ce désir ne pût être que le résultat de profonds désenchantements. Voici ce que dans une lettre qui ne fait point partie de la Correspondance de George Sand, mais qui parut autographiée dans le livre de M. Alexis Rousset : la Société en robe de chambre (Lyon, 1881), la grande romancière écrit à Mme Caroline Valchère[1] encore à la date de 1838, Mme Valchère s’étant adressée à elle, afin d’être éclairée sur les doutes qui la tourmentaient :

À Madame Caroline Valchère.
Paris, lundi soir.

Je ne puis qu’être très flattée, madame, de la sympathie que vous m’exprimez. Malheureusement, je suis peu capable de vous rendre les illusions que vous dites avoir perdues. On ne souffre pas impunément ce que j’ai souffert et il en reste toujours une grande sauvagerie, une grande crainte des autres et de soi-même…

L’hiver de 1840-41 se passa comme le précédent dans le même cadre et dans les mêmes occupations, mais le cercle des connaissances et d’amis allait toujours s’élargissant dans toutes les

  1. Mme veuve Valchère, de Nevers, était propriétaire à Épinay-sur-Orge (Seine-et-Oise).