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C’est un être très singulier, doué de grandes vertus à coup sûr, et rempli de contrastes et d’inconséquences. Perfide sans méchanceté, pédante sans vanité, érudite sans vrai savoir, sérieuse sans profondeur et restant superficielle en voulant toujours aller au fond de tout. Elle a rempli ses devoirs de mère comme bien peu de femmes eussent été capables de le faire et il ne semble pourtant pas qu’elle ait dans le cœur la plus légère tendresse pour quoi que ce soit. Sa vie est pleine de romans et elle ne vous parle que de ses amours et de ses passions. Elle vous conte ses douleurs du ton le plus tranquille et le plus résolu. Elle vous confie ses faiblesses de la façon la plus cynique. Elle pose un système et met en pratique un amour principal dans la vie, et des infidélités à discrétion pour tuer le temps et soulager les nerfs. Vraiment elle n’est pas belle à entendre sur ce chapitre, quoiqu’elle y porte un esprit dégagé et une franchise très originale. Mais avec tout cela elle me fit l’effet de n’avoir ni sens, ni enthousiasme, ni tendresse, Et puis elle parle histoire, philosophie, religion, politique avec une abondance froide et une érudition frivole, et tout d’un coup elle vous quitte pour aller donner à téter à son enfant. Un enfant qui, dit-elle, est laid, gros, fort et méchant comme la passion brutale qui l’a procréé.

Mme…[1] écrivait d’Italie l’an dernier à Mme…[2] en post-scriptum d’une longue lettre consacrée à demander des robes et des chapeaux : « À propos ! J’oubliais de vous dire que je suis accouchée à Rome le mois dernier d’un garçon que j’y ai laissé. Mme… en a fait autant de son côté. »

Il y a pourtant cette différence que Mme… emporte ses enfants, les nourrit, les élève ; elle leur donne son nom, son temps et sa vie. Tandis que l’autre les abandonne, les oublie, les fait élever dans un taudis, tout en vivant dans le velours et l’hermine, ni plus ni moins qu’une femme entretenue, et ne s’occupe de sa progéniture pas plus que d’une portée de chats…

On sait qu’effectivement la comtesse d’Agoult avait abandonné les enfants de son mariage à sa mère, Mme de Flavigny ; que c’est la mère de Liszt qui élevait les enfants de Liszt et qu’enfin un enfant fut temporairement laissé par la comtesse à Rome, chez des étrangers.

Abandonner ses enfants, voilà ce que George Sand ne pouvait pardonner à la comtesse, elle qui fut toujours si véritablement

  1. D’Agoult.
  2. Marliani.