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suis rédacteur, voilà tout. Ma part de direction, ainsi que celle de Leroux, porte sur le côté intellectuel et moral, mais comme c’est enfin une revue créée par notre sentiment et notre jugement des choses, nous désirons son succès comme nous désirons celui de nos idées. Notre troisième associé, bien qu’intéressé matériellement à l’affaire, est aussi désintéressé par noblesse de cœur que nous le sommes par position. Je vous assure que nous sommes trois braves gens, nous entendant sur tous les points comme si nous ne faisions qu’un et je ne sais pas si dans toute la presse on peut citer un pareil phénomène. Je crois donc que nous ferons quelque chose de consciencieux et de sérieux qui ne sera pas sans fruit. Mes romans n’y seront que l’enseigne pour attirer les badauds, je les ferai de mon mieux pour attirer le plus de badauds que nous pourrons, ces badauds feront aller la machine, et le fond de l’œuvre, qui est de parler sans entraves et sans voile aux âmes sympathiques, s’accomplira, si Dieu le permet. Jusqu’ici la machine fonctionne bien et les abonnés viennent en foule. Il faut le dire, parce que la rivière attire toutes les eaux. Ainsi faites l’article pour nous et résignez-vous à donner l’élan à ces badauds par votre exemple. Je sens que vous aimerez de plus en plus les travaux de Leroux. Ils m’ont pris le cœur et l’esprit depuis bien des années et je souhaite à mes meilleurs amis tout le bien qu’ils m’ont fait, tout le calme qu’ils m’ont donné, toute l’ardeur et toute l’espérance dont ils m’ont rempli après une jeunesse de doutes, de souffrances sans but et sans clarté, que je ne voudrais pas recommencer pour tout au monde.

Soyez heureux de toutes façons, cher ami, et bénie soit la femme qui vous empêchera, vous aussi, de regretter les années écoulées. Ne nous verrons-nous pas un peu à Paris cet hiver ? Tâchez-y et, en attendant, ne nous oubliez pas. Chopin vous serre la main. Lui et moi sommes occupés à n’avoir presque pas le temps de nous voir, bien que nous demeurions sinon sous le même toit, du moins à mur mitoyen. Il donne des leçons tout le jour, moi je barbouille du papier toute la nuit. Mais si vous venez, nous mangerons notre soupe avec vous et vous verrez un intérieur tout à fait stoïque à présent…

Nous ne reviendrons plus à l’interminable lettre à Duvernet que nous avons déjà citée à deux reprises et qui eut pour but direct de gagner à la cause de Leroux cet ami d’enfance, quoique George Sand déclarât à la fin de cette lettre :

Si la Revue t’embête, en fin de compte, ne va pas croire que je trouve mauvais que tu la lâches. Nous avons des abonnés et nous n’imposons rien, même à nos meilleurs amis.