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ger quelque chose dans la nature » : le charme serait rompu. Plus tard, à minuit, elle est encore devant sa fenêtre ouverte. Alexandre Manceau la gronde, craignant de la voir prendre froid. Puis il la presse de lui expliquer à quoi servent ces « muettes contemplations ». Elle assure ressentir au milieu de la nature de si indécises, de si mystérieuses et vagues perceptions qu’il lui semble se détacher de son individualité, vivre de la ie commune avec toute la nature, mais de ne pouvoir ni les définir, ni les transporter, en les formulant, dans le domaine de l’art. Manceau, adepte de l’art plastique, ne la comprend pas. Il va se coucher. Restée seule, George Sand s’efforce, quand même, de préciser, d’expliquer sa « joie mystérieuse ». Il lui semble découvrir que cela provient de son « instinct de la vie universelle », de la parenté ressentie par elle avec le monde matériel, les choses et les êtres. Peu à peu elle formule sa conception de l’univers, nette et complète, sa cosmogonie dans le sens précis du mot. Il est très intéressant de comparer ces pages de George Sand avec les Senilia de Tourguéniew. Les deux auteurs ont évoqué l’impression de l’homme devant la nature. Mais quelle différence entre les sentiments exprimés en présence de cette grande Verte insensible ! Tourguéniew est torturé par l’effroi de la mort. Cette note résonne presque dans toute la série de ses petits « poèmes en prose ». La destruction de son être individuel le désespère et la loi de la mort universelle l’exaspère. Cette nature insensible, qui

Brille de la beauté éternelle au seuil des tombes[1]

et qui est tout autant préoccupée des « muscles d’une cheville de puce » que de l’existence de l’homme, roi de l’univers[2], le révolte, il se récrie contre cette impassibilité, cette indifférence, cette imperturbabilité.

George Sand, elle, se réjouit au contraire de cette marche de la nature, indifférente, incessante, de ce travail sans trêve partout sensible, de cette joie exultante, de ces triomphes, de ces victoires continues, non seulement « au seuil de notre tombe »,

  1. Vers de Pouchkine.
  2. Tourguéniew, Senilia.