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richesse. J’affirme que ce monde existe et que je l’ai trouvé. Depuis que je vis en Angleterre, je m’occupe des sciences, et j’y ai fait des découvertes importantes, surtout dans la physiologie végétale ; tout ce que disent les savants sur la nutrition des végétaux est absurde comme tant d’autres choses qu’ils débitent. Je serais en mesure de faire là-dessus un bon livre. Mais laissons les livres. J’ai tourné mes idées vers la pratique. J’ai travaillé sur les matières que l’on regarde comme les plus immondes et dont la nature a pourtant fait la condition de la reproduction ; j’ai découvert le moyen de transformer ces matières en guano semblable à celui du Pérou. En m’occupant de ce sujet, je suis tombé sur deux autres inventions industrielles qui pourraient rapporter d’immenses bénéfices. Vous le voyez, je suis très riche, et à quelques égards le plus riche de tous les hommes, quoique je suis un des plus pauvres.

Vous savez que j’ai ici avec moi une famille de plus de trente personnes, grandes ou petites. La Providence par vous m’envoya, il y a deux ans, le moyen de sortir d’Angleterre (cette terre d’Égypte) où nous allions infailliblement mourir de l’inanition. Mais ici même, sous un ciel meilleur, que de combats pour éloigner la faim ! Hugo, qui n’a qu’une petite famille et qui se vit réduit à sept mille cinq cents livres de rente (sans parler de ce qu’il tire de ses livres) me disait un jour qu’il ne comptait pour vrais chagrins que les chagrins du cœur. C’est vrai et faux. Je le voudrais bien voir aux prises, comme moi, avec la misère.

Nous pouvons nous rendre cette justice qu’au milieu des Français désœuvrés de la proscription, nous avons donné l’exemple du travail. Trois fois j’ai ouvert des cours, malheureusement, pour les idées un peu élevées, il n’y a ni intelligences, ni oreilles, dans un monde purement mercantile, comme le monde métis, moitié anglais, moitié français, qui habite cette petite île.

J’avais commencé à imprimer un grand ouvrage, où de la théologie je serais arrivé à la philosophie et aux sciences ; il m’a fallu interrompre à la quinzième feuille. J’ai fait ensuite un petit livre, dont vous avez, je crois, entendu parler, et dont j’ai essayé vainement de vous envoyer un exemplaire. Ce petit livre traite du sujet dont je vous entretenais tout à l’heure, de cette loi de la vie que j’appelle circulus de la nutrition des végétaux et de la régénération de l’agriculture. J’ai reçu des remerciements des États de ce pays et il a été fait une petite souscription, qui a couvert les frais de la publication. Il fallait ou abandonner cette grande question, ou me mettre moi-même à l’œuvre. Mon frère Jules, qui n’avait plus de travail dans l’imprimerie, a entrepris de cultiver un champ avec un de mes gendres, Freizière, et avec l’aide encore d’un autre de mes frères, Charles, qui avait déjà une certaine