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noncer ? À l’espérance du bonheur ? Sans doute ; il me semble que je ne peux plus espérer : et pourtant l’espérance, c’est le désir, et ne pas désirer le bonheur, c’est contraire aux instincts et aux droits de l’humanité. La raison ne peut rien prescrire qui soit en dehors des lois de la nature… Mon bonheur, je ne le puiserai plus dans les satisfactions qui eurent mon moi pour objet. Est-ce que j’aime mes enfants à cause du plaisir que j’ai à les voir et à les caresser ? Est-ce que mon amour pour eux diminue quand ils me font souffrir ? C’est quand je les vois heureux que je le suis moi-même. Non, vraiment, à un certain âge, il n’y a plus de bonheur que celui qu’on donne. En chercher un autre est insensé… J’essayerai donc plus que jamais de rendre heureux ceux que j’aime, sans m’inquiéter, sans seulement m’occuper de ce qu’ils me feront souffrir. Par cette résolution, j’obéirai au besoin d’aimer, que j’éprouve encore, et aux instincts de bonheur que je puis satisfaire. Je ne demanderai plus l’idéal sur la terre, la confiance et l’enthousiasme à l’amour, la justice et la raison à la nature humaine. J’accepterai les erreurs et les fautes, non plus avec l’espoir de les corriger et de jouir de ma conquête, mais avec le désir de les atténuer et de compenser, par ma tendresse, le mal qu’elles font à ceux qui s’y abandonnent. Ce sera la conclusion logique de toute ma vie. J’aurai enfin dégagé cette solution bien nette des usages où je la cherchais… Alors la Floriani fut saisie d’une immense douleur en disant un éternel adieu à ses chères illusions. Elle se roula par terre, noyée de larmes. Elle exhala les sanglots qui se pressaient dans sa poitrine en cris étouffés. Elle voulut donner cours à une faiblesse qu’elle sentait devoir être la dernière, et à des pleurs qui ne devaient plus couler.

Quand elle fut apaisée par une fatigue accablante, elle dit adieu au vieil olivier, témoin de ses premières joies et de ses derniers combats. Elle sortit du bois et elle n’y revint jamais ; mais elle souhaita toujours d’exhaler son dernier soupir sous cet ombrage tutélaire, et chaque fois qu’elle se sentait faiblir, des fenêtres de sa villa elle regarda le bois sacré, songeant au calice d’amertume qu’elle y avait épuisé et cherchant dans le souvenir de cette dernière crise un instinct de force pour se défendre et de l’espérance et du désespoir.


C’est avec intention que nous avons pas à pas suivi l’auteur du roman dans son analyse du caractère de Karol et du trafique conflit psychologique entre lui et Lucrezia. Nous n’avons omis aucun trait de cette nature complexe. En procédant ainsi,