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… Nous n’avons donc pas vaincu ! Et dire que tous les hommes sont égaux, que tous les biens doivent être communs à tous, en ce sens qu’ils doivent profiter à la communion universelle, et par cette communion à chacun individuellement, est encore une hérésie condamnable et punissable, au nom des papes et du roi. La doctrine de l’Église, comme la doctrine du trône, est encore ce qu’elle était au temps de Martin V et de Sigismond ; et il y a encore des croisades toutes prêtes à se former contre nous, quand nous voudrons donner la coupe à tout le monde. Hâtons donc le triomphe de la vérité, et faisons avancer la loi de Dieu par les moyens conformes à la lumière de notre siècle et au respect de l’Humanité, telle qu’il nous est enfin accordé de la comprendre et de la connaître, après tant de siècles d’erreur et de misère. Admirons dans le passé la foi de nos pères les hérétiques, jointe à tant d’audace et de force, mais enseignons à nos fils, avec la foi, le courage et la force, la douceur et la mansuétude…

Quoique la Comtesse de Rudolstadt fût aussi imprimée dans la

    repose, et tant qu’il se reposera, et que durera le « septième jour » et la non-intervention de Dieu dans les destinées de ce monde, c’est le règne du mal, le règne du diable qui durera sur la terre. Afin d’accélérer l’avènement de la « huitième journée », il faut suivre l’exemple de Jésus et des saints martyrs qui avaient méprisé la mort et la chair. Or, c’est la chair qui est le vrai diable, ennemi de l’âme divine, et non pas Satan, qu’on a tort de considérer comme le tentateur. Satan ne fait le mal que parce qu’il ne peut pas faire autrement, de même que Dieu ne peut faire que le bien. Inutile de les prier l’un et l’autre. Ceux qui sont parvenus à un mépris complet de la chair peuvent faire « avancer la loi de Dieu » par la propagation de la vertu et par une mort volontaire, en se consumant ou en se donnant quelque autre mort ; alors « celui qui fut calomnié sera aussi pardonné ». C’est pour cela qu’au lieu de s’aborder par un bonjour, les sectaires se saluent en disant : « Que celui qui fut condamné de toute éternité soit pardonné. » En le disant, ils ne font que se souhaiter l’arrivée prochaine du « huitième jour », jour de l’éternelle félicité universelle. Or, le chef ou maître spirituel de la secte, un certain « Père Ambroise », type extraordinaire, paysan ayant lu les livres de Humboldt, de M. de Cotta, et autres, connaissant la Bible comme un pasteur, fort en dialectique et poète en son âme farouche, dit à M. Maïnow que ce salut n’était en usage parmi les sectaires que depuis qu’il avait lu le livre d’une certaine dame « agréable à Dieu », lequel livre s’intitulait la Consuela ou « la bonne conseillère », et dans lequel ladite dame « agréable à Dieu » avait décrit tous les usages des Taborites. Ce livre, qui avait arraché des larmes au sévère vieillard, lui avait été donné par un commerçant, « homme de sainte vie ». George Sand n’aurait certes jamais imaginé que le guide spirituel d’une secte religieuse farouche et intransigeante, se dérobant aux yeux du monde dans la forêt vierge septentrionale, pût s’inspirer de la lecture de son œuvre au point d’ajouter un dogme à sa doctrine qui est l’expression d’une recherche ardente et fanatique de la vérité sur cette « terre de misères… ». Mais il est certain que cela l’aurait touchée plus que tous les hommages des lettrés.