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Il paraît que c’est cette même promenade, mentionnée dans le morceau tronqué de la lettre du 14 novembre, que nous avons cité, qui lui fit du mal. Du moins, voici ce que l’on peut lire dans Un hiver à Majorque :

… Nous fîmes surtout deux promenades remarquables. Je ne me rappelle pas la première avec plaisir, quoiqu’elle fût magnifique d’aspects. Mais notre malade, alors bien portant (c’était au commencement de notre séjour à Majorque), voulut nous accompagner et en ressentit une fatigue qui détermina l’invasion de sa maladie. Notre but était un ermitage au bord de la mer, à trois milles de la chartreuse. Nous suivîmes le bras droit de la chaîne et montâmes de colline en colline, par un chemin pierreux qui nous hachait les pieds, jusqu’à la côte nord de l’île.

… En revenant à la chartreuse, nous fûmes assaillis par un vent violent qui nous renversa plusieurs fois et qui rendit notre marche si fatigante que notre malade en fut brisé[1].

Chopin de son côté écrit à Fontana, le 3 décembre 1838 :

Palma.

Je ne puis pas encore t’envoyer les manuscrits, car ils ne sont pas encore prêts. Pendant les trois dernières semaines, j’avais été malade comme un chien, malgré une chaleur de dix-huit degrés, malgré les roses, les orangers, les palmiers et les figuiers en fleurs. J’avais pris très froid. Les trois médecins les plus célèbres de l’île se sont rassemblés pour une consultation ; l’un flairait ce que j’avais expectoré ; l’autre martelait là, d’où j’avais expectoré, le troisième auscultait pendant que j’expectorais. Le premier dit que je mourrai, le deuxième que je mourrais, le troisième que j’étais déjà mort. Et cependant je vis comme je vivais par le passé. Je ne puis pardonner à Jeannot[2] de ne m’avoir donné aucun conseil par rapport à cet état de bronchite aiguë qu’il pouvait constamment observer chez moi. C’est à grand’peine que je pus échapper à leurs saignées, leurs vésicatoires et autres opérations semblables. Grâce à Dieu, je suis redevenu moi-même. Mais ma maladie fit du tort à mes Préludes que tu ne recevras que Dieu sait quand…

… Dans quelques jours j’habiterai le plus bel endroit du monde : la mer, des montagnes… tout ce qu’on peut souhaiter. Nous irons vivre

  1. Un hiver à Majorque, p. 165-168.
  2. Jean Matuszinski, déjà mentionné.