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craint de se montrer sur les boulevards avec lui, alors qu’il était affublé d’un pardessus inimaginable en « velours tigré », il ajoute : « Chopin ne l’aurait point osé, cela aurait pu déplaire à la Sand… »

… On était en octobre, dit Lenz un peu plus loin, et Chopin était toujours encore si distingué qu’il n’était pas à Paris. Alors un beau matin Liszt me dit avec une aimable sollicitude : « Eh bien, il arrive, je l’ai appris, si seulement la Sand le laisse partir. » Je répliquai : « S’il pouvait la laisser partir, l’Indiana. » « C’est ce qu’il ne fera jamais, reprit Liszt ; je le connais. Mais dès qu’il arrivera je l’amènerai chez vous. Vous avez un Erard, nous jouerons la sonate à quatre mains d’Onslow… » Octobre passa et Chopin n’y était pas encore. À grand’peine et à force de sacrifices, je parvins à me faire prolonger mon congé[1] et m’exerçais sur mon Erard avec une application extrême. Liszt me donna une carte pour Chopin, portant ces mots : « Laissez passer. Franz Liszt », et me dit : « Allez vers deux heures dans la cité d’Orléans, où il loge, ainsi que la Sand, Mme Viardot, Dantan, etc. ; le soir tout le monde se rassemble chez une comtesse espagnole. Peut-être Chopin vous prendra-t-il avec lui, mais ne lui demandez pas de vous présenter à la Sand. Il est ombrageux. » — « Il n’a pas votre courage. » — « Non, il ne l’a pas, le pauvre Frédéric… »

Chopin, au dire de Lenz, le reçut très froidement, sans même lui offrir un siège, mais, après l’avoir entendu, il consentit à lui donner des leçons ; il semblait toutefois pressé de le quitter, regardait à tout moment sa montre et finit par lui demander à bout portant :

« Que lisez-vous ? De quoi vous occupez-vous en général ? » C’était une question à laquelle je m’étais bien préparé : « Je préfère George Sand et Jean-Jacques à tous les auteurs ! » dis-je trop précipitamment. Il sourit, il fut adorablement beau en ce moment. « C’est Liszt qui vous l’a soufflé, je le vois, vous êtes initié, tant mieux », répondit Chopin.

Ce dialogue, incroyable par son manque de tact, est en désaccord complet avec le conseil de Liszt de ne point faire allusion à Mme Sand (ce qui pouvait sembler peu délicat à

  1. Cf. avec ce que dit Balzac dans ses lettres de 1842. (Lettres à l’Étrangère, t. II, p, 72-73.)