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voir mes enfants en souffrir beaucoup. Heureusement mon ambulance va bien. Demain, nous partons pour la chartreuse de Valdemosa, la plus poétique résidence de la terre. Nous y passerons l’hiver qui commence à peine et qui va bientôt finir. Voilà le seul bonheur de cette contrée. Je n’ai de ma vie rencontré une nature aussi délicieuse que celle de Majorque.

Après avoir entretenu sa correspondante de ses difficultés d’argent et de la nécessité d’emprunter trois mille francs à des conditions fort dures, par l’intermédiaire d’un certain Nunez, Mme Sand lui dit encore que Buloz, non plus, ne lui envoie rien, car, dit-elle :

… Je voulais envoyer à Buloz beaucoup de manuscrits, mais, d’une part, accablée de tant d’ennuis matériels, je n’ai pu faire grand’chose ; et de l’autre, la lenteur et le peu de sûreté des communications font que Buloz n’est peut-être pas encore nanti. Vous connaissez Buloz : « Pas de manuscrit, pas de suisse. »

Elle prie donc Mme Marliani de lui arranger le payement de la lettre de Nunez, soit par M. Remisa, soit par son homme d’affaires, puis elle ajoute à la fin de sa lettre : J’écrirai à Leroux, de la chartreuse, à tête reposée. Si vous saviez ce que j’ai à faire ! Je fais presque la cuisine. Ici, autre agrément, on ne peut se faire servir. Le domestique est une brute : dévot, paresseux et gourmand ; un véritable fils de moine (je crois qu’ils le sont tous). Il en faudrait dix pour faire l’ouvrage que vous fait votre brave Marie. Heureusement la femme de chambre, que j’avais amenée de Paris, est très dévouée et se résigne à faire de gros ouvrages ; mais elle n’est pas forte, et il faut que je l’aide. En outre, tout coûte très cher, et la nourriture est difficile, quand l’estomac ne supporte ni l’huile rance, ni la graisse de porc. Je commence à m’y faire, mais Chopin est malade toutes les fois que nous ne lui préparons pas nous-mêmes ses aliments. Enfin, notre voyage ici est, sous beaucoup de rapports, un fiasco épouvantable.

Mais nous y sommes. Nous ne pourrions en sortir sans nous exposer à la mauvaise saison et sans faire coup sur coup de nouvelles dépenses. Et puis j’ai mis beaucoup de courage et de persévérance à me caser ici. Si la Providence ne me maltraite pas trop, il est à croire que le plus difficile est fait et que nous allons recueillir le fruit de nos peines. Le printemps sera délicieux, Maurice recouvrera sa belle santé, il se