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Ici il manque toute une page dans la lettre imprimée, page des plus précieuses comme sous le rapport de la compréhension profonde de la nature de Chopin de la part de George Sand et aussi comme peinture de leurs relations à ce moment. Nous y voyons que Chopin n’était pas toujours « un malade détestable ». Voici cette page inédite :

Bonsoir, chère amie ; Chopin serait à vos pieds s’il n’était dans les bras de Morphée. Il est accablé depuis quelques jours d’une somnolence que je crois très bonne, mais contre laquelle son esprit inquiet et actif se révolte. C’est en vain, il faut qu’il dorme toute la nuit et une bonne partie du jour. Il dort comme un enfant, j’espère beaucoup de cette disposition, et le docteur assure que le voyage lui sera excellent. Ce Chopin est un ange, sa bonté, sa tendresse et sa patience m’inquiètent quelquefois, je m’imagine que c’est une organisation trop fine, trop exquise et trop parfaite pour vivre longtemps de notre grosse et lourde vie terrestre. Il a fait à Majorque, étant malade à mourir, de la musique qui sentait le paradis à plein nez, mais je me suis tellement habituée à le voir dans le ciel qu’il ne me semble pas que sa vie ou sa mort prouve quelque chose pour lui. Il ne sait pas bien lui-même dans quelle planète il existe, il ne se rend aucun compte de la vie comme nous la concevons et comme nous la sentons…[1].

Le dernier passage de cette lettre est aussi changé dans la Correspondance[2], nous le donnons donc ici en entier :

J’espère que cette lettre se croisera avec une de vous. Je pense que vous avez reçu Gabriel, et que vous ferez payer le Buloz. Je compte sur l’argent que je lui ai demandé et que je vous prie de me faire passer, pour quitter Marseille, car tout y est plus cher qu’à Paris, et mon voyage très lent et très précautionneux me coûtera gros, comme on dit. Adieu, ma chérie, je vous embrasse tendrement…

Le 22 mai, dans la matinée, George Sand et Chopin quittèrent Marseille et se dirigèrent vers le nord, en voyageant « tout tranquillement, couchant dans les auberges comme de bons bourgeois[3] ». La voiture de Mme Sand arrivée par le bateau de Châlons les attendait à Arles, et dans les derniers jours du mois

  1. Inédite.
  2. Corresp., t. II, p. 141.
  3. Ibid., p. 142.