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6 avril 1846.

Vous êtes digne de tous vos succès. J’offrirais le peu de jours qui me restent à languir (si cela pouvait tenter le diable) pour avoir peint une de ces nuits de septembre dans un verger, quand le chien du paysan, rôdeur et curieux, insolent et poltron, prend la fuite au bruit de la pomme tombée, croyant que vous lui lancez une pierre ; ou bien encore ces évolutions des grues, alors que le guide épuisé renonce à conduire et qu’un autre retrouve le vent et commande la caravane. J’ai rêvé cette nuit que j’étais en pleine mer : j’entendais au-dessus du navire planer, sans les voir, les voyageurs ; j’écoutais ces âmes en peine : les grues ont fait naufrage.

Je vous aime et les bouleaux sont verts, voilà les nouvelles du village.

H. de Latouche.

La même note qui termine l’épilogue de la Mare au Diable, la description, ou plutôt l’impression d’une soirée d’automne, résonne aussi à la première page de François le Champi :

Nous revenions de la promenade, R… et moi, au clair de la lune, qui argentait faiblement les sentiers dans la campagne assombrie. C’était une soirée d’automne, tiède et doucement voilée ; nous remarquions la sonorité de l’air dans cette saison et ce je ne sais quoi de mystérieux qui règne alors dans la nature. On dirait qu’à l’approche du lourd sommeil de l’hiver, chaque être et chaque chose s’arrangent furtivement pour jouir d’un reste de vie et d’animation avant l’engourdissement fatal de la gelée : et, comme s’ils voulaient tromper la marche du temps, comme s’ils craignaient d’être surpris et interrompus dans les derniers ébats de leur fête, les êtres et les choses de la nature procèdent sans bruit et sans activité apparente à leurs ivresses nocturnes. Les oiseaux font entendre des cris étouffés au lieu des joyeuses fanfares de l’été. L’insecte des sillons laisse échapper parfois une exclamation indiscrète ; mais tout aussitôt il s’interrompt et va rapidement porter son chant ou sa plainte à un autre point de rappel. Les plantes se hâtent d’exhaler un dernier parfum, d’autant plus suave qu’il est plus subtil et comme contenu. Les feuilles jaunissantes n’osent frémir au souffle de l’air, et les troupeaux paissent en silence sans cris d’amour ou de combat.

Nous-mêmes, mon ami et moi, nous marchions avec une certaine précaution, et un recueillement instinctif nous rendait muets et comme attentifs à la beauté adoucie de la nature, à l’harmonie enchanteresse