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Mais au moins nous serons ensemble et nous nous consolerons l’un par l’autre. C’est une triste chose que ces alternatives d’élan fraternel et de méfiance haineuse qui agitent le cœur et la bile de tous à des moments données. N’importe, l’avenir viendra et l’humanité fera son progrès. J’ai besoin de la gaieté de Lambrouche pour me remonter. Apporte Cocoton et viens.

Comme elle est loin, Mme Sand, de la belle assurance avec laquelle elle déclarait dans son 15e Bulletin, il y a à peine huit jours, « que quiconque ne sera pas convaincu que a République ne peut pas périr, ne sera qu’un député dangereux » !

Mais dans le dernier feuillet qui reste du Journal de 1848 (il porte la date du 26 avril mais doit, en réalité, avoir été écrit entre le 16 et le 20, on ne peut pas dire au juste quand), George Sand se prononce encore plus sérieusement :

Je crois qu’on demandait au peuple plus qu’il ne pouvait donner ; il y a autant de danger à vouloir faire marcher une nation trop rapidement dans la voie du progrès qu’à vouloir l’arrêter. Le peuple est plus sage que ses gouvernants.

Le 16 avril la réaction contre les idées socialistes nous avertissait qu’il ne fallait pas aller trop loin dans le domaine des faits, au risque de faire proscrire l’idée ; la bourgeoisie s’est emparée de cette expression du sentiment populaire pour frapper à mort toutes les idées progressives. Elle a pu croire vingt-quatre heures à son triomphe. Les socialistes, les républicains avancés étaient menacés, pourchassés, traqués sous l’accusation de communisme (loi agraire, égalité de salaire, icarisme, abolition de la famille, etc., tout était confondu sous le nom de communisme). Si, dans un groupe, un citoyen avait à se récrier, même timidement contre l’espèce de terreur dont les idées sociales, comme idées, étaient l’objet, il était battu, injurié et souvent mis en prison. Cela se passait ainsi lundi.

Mardi, on arrêtait encore.

Mercredi, c’était plus rare : un ou deux exemples ; jeudi, à la fête de la fraternité, tout était oublié. Au commencement du défilé, la banlieue pousse quelques cris isolés : « À bas le communisme ! »

Le soir, il n’en était plus question.

Depuis ce jour, une réaction se manifeste paisiblement. Non seulement on ne menace plus, on n’injurie plus, on n’arrête plus les citoyens suspectés de socialisme, mais tout le monde discute avec eux.