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le temps, contre la coutume, contre les cochons. J’ai un peu pesté contre ce cher Manoël, qui m’a dépeint ce pays comme si libre, si abordable, si hospitalier. Mais à quoi bon les plaintes et les murmures contre les ennemis naturels et inévitables de la vie ? Ici, c’est une chose ; là une autre ; partout il y a à souffrir.

Ce qu’il y a de vraiment beau ici, c’est le pays, le ciel, les montagnes, la bonne santé de Maurice, et le radoucissement de Solange. Le bon Chopin n’est pas aussi brillant de santé.

C’est à ces derniers mots que se rattachent les lignes tronquées dans la Correspondance :

… Après avoir très bien, trop bien peut-être supporté les grandes fatigues du voyage, au bout de quelques jours la force nerveuse qui le soutenait est tombée, et il a été extrêmement abattu et souffreteux. Mais il revient sur Veau de jour en jour et j’espère qu’il sera mieux qu’auparavant. Je le soigne comme mon enfant. C’est un ange de douceur et de bonté !

Puis viennent les lignes imprimées :

Son piano lui manque beaucoup. Nous en avons enfin reçu des nouvelles aujourd’hui. Il est parti de Marseille, et nous l’aurons peut-être dans une quinzaine de jours. Mon Dieu, que la vie physique est rude, difficile et misérable ici ! C’est au delà de ce qu’on peut imaginer.

Puis encore des lignes omises :

… On manque de tout, on ne trouve rien à louer, rien à acheter. Il faut commander des matelas, acheter des draps, serviettes, casseroles, etc., tout absolument.

J’ai par un coup du sort trouvé à acheter un mobilier propre, charmant pour le pays, mais dont un paysan de chez nous ne voudrait pas. Il a fallu se donner des peines inouïes pour avoir un poêle, du bois, du linge, que sais-je ? Depuis un mois que je me crois installée, je suis toujours à la veille de l’être. Ici, une charrette met cinq heures pour faire trois lieues ; jugez du reste ! Il faut deux mois pour confectionner une paire de pincettes. Il n’y a pas d’exagération dans tout ce que je vous dis. Devinez, sur ce pays, tout ce que je ne vous dis pas. Moi, je m’en moque ; mais j’en ai un peu souffert, dans la crainte de

    de novembre de la Revue des Deux Mondes de 1838, puis dans les deux livraisons de janvier de 1839.