Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/546

Cette page n’a pas encore été corrigée

excès. Il la servait à genoux, il l’adorait dans ces moments-là plus encore qu’il ne l’avait adorée dans leur lune de miel. Que ne pouvait-elle dissimuler !… Il se fût oublié pour elle, car ce féroce égoïste était le plus dévoué, le plus tendre des amis lorsqu’il voyait souffrir…

14° Il nous est défendu de reconnaître Chopin dans le prince Karol d’après « certains traits de ressemblance », et nous devons toujours ne pas oublier que « procéder ainsi serait un système trop commode pour être sûr », mais il n’y a qu’à comparer la page 466 de l’Histoire de ma vie citée plus haut[1] et la lettre de Mme Sand à Mlle de Rozières[2], où nous avons trouvé les passages :

… Si je n’étais témoin de ces engouements et de ces désengouements maladifs depuis trois ans, je n’y comprendrais rien, mais j’y suis malheureusement trop habituée pour en douter.

… Avec cette organisation désespérante, on ne peut jamais rien savoir. Avant-hier, il a passé la journée entière sans dire une syllabe à qui que ce soit. Était-il malade ? quelqu’un l’avait-il fâché ? avais-je dit un mot qui l’eût troublé ? J’ai eu beau chercher, moi, qui connais aussi bien que possible maintenant ses points vulnérables, il m’a été impossible de rien trouver, et je ne le saurai jamais.

— avec ce que Lucrezia dit des perpétuels et énigmatiques changements d’humeur de son amant :

… Moi, qui le connais, je ne puis rien te dire, sinon qu’il était gai hier soir, ce qui était un signe certain qu’il serait triste ce matin. [Il n’a jamais eu une heure d’expansion dans sa vie, sans la racheter par plusieurs heures de réserve et de taciturnité. Il y a certainement à cela des causes morales, mais trop légères ou trop subtiles pour être appréciables à l’œil nu. Il faudrait un microscope pour lire dans une âme où pénètre si peu de la lumière que consomment les vivants[3].] Je m’interroge en vain, je ne vois pas en quoi j’ai pu contrister le cœur de mon bien-aimé. Mais la froideur de son regard me glace jusqu’à la moelle des os, et quand je le vois ainsi, il me semble que je vais mourir.

L’auteur de Lucrezia ajoute :

  1. P. 446.
  2. P. 431-32.
  3. Les lignes entre crochets [ ] sont celles que la « grande dame » a intercalées dans le « portrait de Chopin » cité plus haut, p. 523.