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pagnes de l’école dei Mendicanti, travaille avec conscience et persévérance, parce qu’elle a une voix magnifique et la passion de la musique, et parce qu’à son insu elle possède un admirable talent d’artiste à l’état latent. C’est le « vilain caneton » d’Andersen, qui va se transformer en un beau cygne. Tout le monde est stupéfié, sauf Porpora, qui l’a depuis longtemps devinée. Pendant quatre ans, silencieusement, avec amour il a taillé ce diamant brut. Le jeune camarade de Consuelo, son ami idyllique et son compagnon inséparable, Anzoleto, comme elle, enfant des lagunes, et autrefois aussi élève de Porpora, mais expulsé de l’école pour son indolence et son manque d’application, est stupéfait comme les autres. Anzoleto possède aussi une voix charmante, comme tous les Italiens ; il a une facilité musicale, sans être un vrai artiste : il est insouciant, égoïste, se préoccupe du succès plus que de l’art ; il est guidé non par l’idéal, mais par ses passions, ses instincts. Grâce au comte Zustiniani, jeune mécène, qui s’éprend de la voix de Consuelo, les deux amis débutent au théâtre ; malgré leur grande jeunesse, ils ont un grand succès et sont reçus chanteurs à l’Opéra. Jusqu’alors ces pauvres enfants des lagunes, inséparables depuis la mort de la mère de Consuelo, chanteuse ambulante, qui les avait bénis à son heure suprême, vivaient, abandonnés à leur propre destin, sans aucune espèce de tutelle, de la vie libre, misérable et insouciante des indigents vénitiens. Consuelo gagnait sa vie, en passant les heures où elle ne travaillait pas avec Porpora, à coudre, à enfiler des perles de verre et des coquilles ou à quelque autre pauvre métier du même genre, qui lui procurait quelques sous, mais cette vie était parfaitement innocente. Sensuel et jouissant de la vie, comme un vrai fils du Midi, Anzoleto se livrait parfois à de faciles amours, mais il respectait instinctivement et entourait de sollicitude sa jeune amie. Entré au théâtre et de là parvenu dans la société des riches dilettanti, complètement séduit par ce milieu luxueux et dépravé, ayant subitement vu dans Consuelo une brillante artiste à laquelle était assuré un splendide avenir, et une femme plus séduisante que les plus belles, il s’opère vite un changement dans les sentiments d’An-