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et de dévouement. Il n’est pas un de mes vieux amis qui n’eût été prêt à te pardonner tes aberrations envers moi, et à t’accueillir comme par le passé, si toi-même n’eusses dédaigné et repoussé l’idée de leur devoir quelque chose. Le nombre n’en est pas grand, il est vrai, et ce ne sont pas gens d’importance et de haute volée. Cela n’est pas ma faute. Je ne suis pas née princesse, comme toi, et j’ai établi mes relations suivant mes goûts simples et mes instincts de retraite et de tranquillité. Alors le grand malheur de ta position, c’est d’être ma fille, mais je n’y peux rien changer et il faut bien que tu en prennes ton parti une fois pour toutes.

Quant aux autres amis que tu as pu faire depuis ton mariage et notre séparation, je ne peux pas croire que tous soient détestables et qu’il y ait de leur faute dans votre rupture.

Bourdet a été sévère pour toi, mais il avait quelque raison pour l’être ; je ne vois pas que j’y sois pour quelque chose, et je ne suis pas certaine non plus qu’il n’eût pas été facile de te le conserver pour appui. Sa famille t’aimait tendrement, j’ai vu sa femme te pleurer, et sa belle-mère parlait de toi avec une grande sollicitude. Le comte d’Orsay, en dépit de tout le mécontentement que lui causait le détail de ta conduite, est resté paternel pour toi au milieu de sarcasmes que je souffre de te voir mériter souvent. Sa sœur a été aimable et bien disposée pour toi, tu la détestes. Tu as vu beaucoup de personnes dans une position brillante, telles que tu les cherches de préférence, Mme de Girardin et d’autres encore.

Pourquoi ne trouves-tu pas appui et sympathie dans le monde où tu t’es lancée et auquel, moi, je suis forcément étrangère ? Le genre humain tout entier est-il détestable et n’y a-t-il que toi de parfaite ? Es-tu la victime de l’injustice générale ou de ton propre caractère, qui est dédaigneux, changeant, et qui exige tout des autres sans se croire obligé à rien envers les autres ?

Penses-y et si c’est là le mal, comme il est en toi-même, personne autre que toi n’y peut porter remède dans l’avenir. Tu auras beau te plaindre à moi de ton ennui et de ton abandon, je ne pourrai forcer personne à t’aimer si tu n’es pas aimable.

Si ton frère n’est pas ton meilleur ami, ton compagnon assidu, comme il l’aurait fallu pour notre bonheur à tous trois, est-ce parce qu’il est, selon toi, un monstre d’égoïsme ? Je ne le pense pas, moi qui vis avec lui depuis bientôt trente ans, sans un nuage sérieux entre nous. Pas plus que toi il n’est sans défaut, mais je l’ai vu verser bien des larmes sur tes injustices, donc il a quelque chose pour toi dans le ventre, tout en te rudoyant ; et toi, tu lui as dit bien des fois que tu le haïssais. C’était dans la colère, mais dans le calme tu n’as jamais dit, ni à lui, ni à moi, ni à personne que tu l’aimais, et il est