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gré son air fantastique, si pleine de réalité, respire tellement la véracité, qu’il est fort probable que George Sand ne l’inventa pas, mais la transcrivit, telle qu’elle lui fut contée par l’un des étudiants qui la fréquentaient, lorsqu’elle vivait avec Sandeau dans la petite mansarde du quai Saint-Michel, ou par quelque ouvrier qui avait réellement accompli un semblable steeple-chase terrible, dans ces journées non moins horribles[1].

Cet épisode se termine toutefois d’une manière déjà parfaitement « littéraire », voire romantique. Grâce au sort et à l’auteur, Paul Arsène casse les vitres de la mansarde même où Marthe vient de mettre au monde son enfant. Elle reconnaît cet ami bien véritablement « tombé du ciel » et qu’elle avait impitoyablement oublié à cause d’Horace ; elle le soigne comme elle peut, n’osant pas appeler un médecin (ceux-ci dénonçaient alors assez souvent leurs clients à la police), elle le dérobe aux recherches de cette police et le sauve d’une mort certaine. Marthe ne s’abuse plus sur le compte d’Horace, elle sait apprécier le modeste Arsène, si plein de tendresse et d’abnégation. Lui, par amour pour elle et par un sentiment de suprême pitié, se décide à adopter l’enfant d’Horace. Pendant quelque temps, les pauvres jeunes gens souffrent de la plus noire misère, Paul Arsène s’essaye aux métiers les plus durs : il tombe enfin par hasard dans un petit théâtre de banlieue. Il se risque sur les planches et s’expose à un échec complet, mais il utilise son talent de dessinateur, devient costumier, décorateur, puis reçoit une place de caissier. Marthe entre aussi à ce théâtre en qualité de couturière, mais elle est réellement douée d’un grand talent artistique ; elle y débute avec succès, puis on l’engage au Gymnase. Elle a trouvé sa vocation. C’est alors qu’Horace réapparaît sur son chemin.

Il n’a point perdu son temps en province auprès de sa maman, qui se porte à merveille. Ayant fait un peu aupara-

  1. Beaucoup de ceux qui avaient eu le malheur de se trouver à Moscou en décembre 1905, et dans d’autres villes de la Russie en octobre de cette année, peuvent raconter des « courses au clocher » tout aussi tragiquement fantastiques et des cas de sauvetage par les toits et par-dessus les murs aussi fabuleux que réels !