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Il est encore question, pour le moment, de la réimpression de mes œuvres en Amérique, qui, pourtant, y propagent si bien ma réputation qu’un littérateur américain a fait cette année-ci des conférences sur moi à New-York et à Albany, un honneur qui n’est jamais arrivé à aucun poète vivant. Sois donc tout aussi tranquille pour ma réputation que pour mes finances. Je te remercie de tout mon cœur ému pour ta généreuse proposition, mais je dois la refuser. Premièrement, la somme est trop grande pour que je puisse l’accepter, secondement, je n’ai pas de dettes, parce que, depuis 1840, toutes sont consciencieusement payées ; les accusations de dettes commises dans l’article injurieux de la Presse sont donc menteuses. Demande publiquement à mes créanciers de te faire parvenir leurs réclamations, comme si tu avais l’ordre de les payer pour moi, et tu seras surpris de n’en voir réclamer pas même cent francs. Sois donc tranquille.

Tu me dis, cher frère, n’avoir pas lu le passage en question. Je m’en aperçois bien, car tu aurais su autrement à quel motif M. Saphir attribue le châtiment que j’infligeai au capitaliste Dessauer.

À la page 47 de mon livre, ce motif est suffisamment expliqué et c’est une méchante ruse de la part de l’auteur anonyme de se donner l’air de ne pas comprendre de quoi parle Saphir. Il y est question d’un fait qui est notoire. Saphir aussi me dit que le personnage châtié se vantait partout de l’intimité, que je déclarais impossible. Le premier qui m’ait parlé de ce que l’insecte vaniteux se glorifiât d’un pareil bonheur galant était un homme dont la seule parole vaut plus d’une centaine de capitalistes musicaux ; je n’ai donc pas raconté un racontage futile. Pour mettre d’emblée fin à toute espèce de doutes, cet homme n’est pas moindre que le comte d’Auersperg, mon très vénéré collègue couronné de lauriers, Anastasius Grün. Il ne reprendra certes pas ce qu’il a dit.

Cette communication m’indigna tellement, qu’elle me fit sursauter, et comme je composais alors ma Lutèce, de matériaux imprimés et inédits, je livrai à la publicité le tableau du châtiment du personnage, qui, certes, serait resté inédit sans cette vexation momentanée.

Oui, ce n’est que l’indignation qui causa la publication de cette esquisse. Ce tableau, cette correction écrite ne provient sûrement que d’un mouvement désintéressé de poète qui cherche à étudier et à portraiturer les grimaces et les platitudes de son époque dans ses plus nobles exemplaires.

Mais finalement les motifs de nos écrits n’importent pas, et le principal, c’est la vérité des faits que nous présentons. Je suis conscient de n’avoir communiqué dans mon livre de Lutèce, qui ne se compose rien que de choses réelles, aucun fait qui ne soit basé sur témoignages