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flexions qui caractérisent on ne peut mieux ses conceptions générales d’alors.

Qu’on ne dise donc plus que les hommes du passé se sont émus et ont lutté pour de vaines subtilités. Jean Huss et Jérôme de Prague ne sont pas les victimes volontaires d’un fol orgueil de rhéteurs, comme les écrivains orthodoxes ont osé le dire : ils sont les martyrs de la Liberté, de la Fraternité et de l’Égalité. Oui, nos pères, qui eux aussi avaient cette devise, portaient la sainte doctrine éternelle dans leur sein ; et la guerre des hussites est non seulement dans ses détails, mais dans son essence, très semblable à la Révolution française. Oui, comme nous l’avons déjà dit bien des fois, ce cri de révolte : la coupe au peuple ! était un grand et impérissable symbole. Oui, les saintes hérésies du moyen âge, malgré tout le sang qu’elles ont fait couler, comme notre glorieuse Révolution malgré tout le sang qu’elle a versé, sont les hautes révélations de l’Esprit de Dieu, répandues sur tout un peuple. Il faut avoir le courage de le dire et de le proclamer. Ce sang fatalement sacrifié, ces excès, ces délires, ces vertiges, ces crimes d’une nécessité mal comprise, tout ce mal qui vient ternir la gloire de ces révolutions et en souiller les triomphes, ce mal n’est point dans leur principe : c’est un effet déplorable d’une cause à jamais sacrée. Mais d’où vient-il ce mal dont on accuse sans distinction et ceux qui le provoquent et ceux qui le rendent ? Il vient de la lutte obstinée des hostilités, des provocations iniques des ennemis de la lumière et de la vérité divine. Plus profondément, sans doute, il vient de l’épouvantable antagonisme de deux principes, le bien et le mal. C’est peut-être ainsi que l’entendaient, dans leur origine, ces religions qui admettaient une lutte formidable entre le bon et le mauvais Esprit. Moins diaboliques que le christianisme perverti, elles annonçaient la conversion et la réhabilitation de l’Esprit du mal ; elles le réconciliaient à la fin des siècles avec le Dieu bon, elles prophétisaient peut-être ainsi, sans le savoir, la réconciliation de l’Humanité universelle, le triomphe miséricordieux de l’Égalité, la conversion et la réhabilitation des individus aujourd’hui rois, princes, pontifes, riches et nobles, esclaves de Satan, avec les peuples émancipés…[1].

  1. Nous donnons en Appendice à l’édition russe de ce volume le récit du savant biologue et ethnographe fort connu, M. W. Maïnov (1844-1887), élève de Broca, qui avait narré en 1881 dans le Messager d’histoire (Istoritcheski Westnik) un épisode extrêmement curieux de l’un de ses nombreux voyages. Il lui arriva notamment un jour de tomber au beau milieu des forêts septentrionales du gouvernement d’Olonetz, dans une secrète bourgade de sectaires, surnommés les négateurs, ou les reposants, ou encore les morts vivants. Cette secte prétend que depuis l’achèvement de la création en six jours, Dieu se