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sacrifices, aux économies de sa femme, une ancienne paysanne, que le père fournit à son fils les moyens d’aller terminer son éducation et de faire son droit à Paris. Ses pauvres parents se privent de tout, espérant que dans peu d’années leur cher fils sera un homme arrivé ; et le cher fils laisse filer les aimées, toujours sur le point de devenir quelque chose, de choisir une carrière qui lui convienne, en critiquant toutes celles qui se présentent, et… ne faisant rien ! Il a de si sublimes aspirations et des rêves si grandioses que ni le barreau ni la médecine ne peuvent le satisfaire. La carrière politique lui semble également indigne d’un être tel que lui. Il aurait peut-être consenti à devenir homme de lettres et il « ébauche » une dizaine de romans, de drames et de nouvelles, mais quand il s’agit de les écrire, il se borne à inscrire au haut de feuillets tout blancs : « Chapitre premier » ou « acte premier »[1]. Le labeur, le dévouement entier à n’importe quelle œuvre — à l’art, à la science — lui sont choses impossibles. Il passe son temps en débats interminables, en pérorant dans tous les cafés du Quartier où il charme et subjugue par le feu de son éloquence, par sa critique acerbe du régime actuel et même par sa figure originale et attrayante tous les rapins, ses camarades, qui l’écoutent avec componction.

À son âge les simples mortels, habitants du Quartier Latin, s’éprennent non seulement de sciences, mais aussi de Lisettes et de Musettes et se mettent en d’honnêtes et illégitimes ménages avec ces modestes grisettes, modistes et fleuristes. C’est ainsi que l’étudiant en médecine, Théophile — au nom duquel nous parle l’auteur — vit en une union vertueusement illégale, avec une grisette archi-vertueuse, du nom d’Eugénie. Mais Horace méprise de si vulgaires amours et rêve de rencontrer quelque beauté idéale, avec laquelle il filerait le parfait amour, — amour grrrandiose, cela s’entend.

  1. C’est comme une légère réminiscence de l’auteur qui se souvient que lorsque Aurore Dudevant arriva de Nohant avec Indiana parfaitement prête pour l’impression, elle vit, à son grand étonnement, que Jules Sandeau n’avait tracé, en son absence, qu’une seule ligne : Chapitre premier