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Heine, de son côté, dans ce même passage de son livre De l’Allemagne où il déclarait a ne point craindre George Sand et les jolies femmes autoresses » (nous l’avons cité déjà)[1], dit, à l’instar du docteur Piffoël, qu’il en existe pourtant de bien dangereuses, par exemple une certaine comtesse mystérieuse ; et il raconte ce qui suit :

Hier encore un mien ami me raconta à ce propos une histoire effrayante. Il avait parlé à l’église de Saint-Merry à un jeune peintre allemand qui lui dit mystérieusement : « Vous avez attaqué dans un article allemand Mme la comtesse de ***. Elle l’a appris et vous êtes un homme mort si cela se répète. Elle a quatre hommes qui ne demandent pas mieux que d’obéir à ses ordres… » N’est-ce pas vraiment effrayant ? Est-ce que cela n’a pas tout l’air d’un roman d’horreurs et de revenants, de Mme Anna Radcliffe ? Est-ce que cette femme n’est pas une espèce de Tour de Nesle ? Elle n’a qu’à faire un petit signe de la tête, et quatre spadassins se ruent sur vous et c’en est fait de vous, sinon physiquement, du moins moralement. Mais comment cette dame arrive-t-elle à avoir une si sinistre puissance ? Est-elle si belle, si riche, si noble, si vertueuse, si pleine de talents, qu’elle exerce un pouvoir si illimité sur ses séides, et que ceux-là lui obéissent si aveuglément ? Non, elle ne possède point ces dons de la nature à un trop haut degré. Je ne veux pas dire qu’elle soit laide, nulle femme n’est laide. Mais je puis assurer avec insistance que si la belle Hélène avait ressemblé à cette dame, alors la guerre de Troie n’aurait point éclaté, le château de Priam n’aurait point été consumé et Homère n’aurait jamais chanté le courroux d’Achille, fils de Pelée. Elle n’est pas aussi riche non plus ; et l’œuf, dont elle brisa la coque en naissant, ne fut point l’œuvre d’un dieu, ni pondu par une fille de roi, de sorte que, même par rapport à sa naissance, elle ne peut pas être comparée à Hélène ; elle provient d’une maison bourgeoise de commerçants de Francfort. Ses trésors ne sont également pas aussi grands que ceux que la reine de Sparte emporta avec elle lorsque Paris, qui jouait si bien de la cithare (le piano n’ayant pas encore été inventé), l’enleva de là ; au contraire, les fournisseurs de la dame soupirent qu’elle ne leur aurait point encore payé son dernier râtelier. Ce n’est que sous le rapport de la vertu qu’elle peut être considérée comme l’égale de Mme Ménélas…

Il nous semble que ces deux passages de Heine — sur la bonté de George Sand et celui sur la dangereuse comtesse — sont

  1. V. plus haut, p. 129.