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Il faut dire sans ambages que, malgré # tout l’imbroglio du récit, malgré tout l’attrait que présente le héros principal, ce bandit aussi rusé qu’Ulysse, aussi agile qu’un lézard, aussi brave qu’un bravo des Abruzzes, — cet excès de paroles et d’actions nobles est tout bonnement insupportable et notre estomac du vingtième siècle est incapable de digérer autant de fadaises. On ne comprend pas que la même plume qui avait dessiné la petite Marie de la Mare au Diable, si adorable dans sa simplicité, ait pu écrire toutes ces causeries invraisemblables, — tant elles sont quintessenciées et « sublimes », — entre la petite Mila Lavoratori, son frère et Magnani. La petite Mila finit par formuler des opinions et des aperçus esthétiques qui feraient honneur au plus docte historien de l’art. Et sur quoi, s’il vous plaît ? Sur la Madonna della Sedia de Raphaël, dont la copie suspendue dans sa chambrette, oblige cette petite Sicilienne, portant des cruches d’eau sur sa tête comme toutes les rustiques filles d’Italie et lavant son linge comme Nausikaa, à se répandre en réflexions surfines sur les rapports entre le beau réel dans la vie et le beau idéal dans l’art ! C’est absolument invraisemblable ! Ce roman n’aurait pas arrêté notre attention, s’il ne s’y trouvait pas, çà et là, des phrases et des idées qui portent bien la date de 1846. L’auteur a beau transporter l’action de son roman loin de France et nous assurer que c’est un « conte fantastique sans lieu ni époque précis », ce roman, comme celui de Tourguéniew, devrait s’intituler la Veille. Oui, ce sont bien là les idées planant dans l’air la veille des événements qui allaient se jouer en France. Tous ces sentiments contre les oppresseurs siciliens, cherchant une issue et dégénérant en brigandage, ce sont des sentiments qui se développent aux époques mortes où l’apathie est générale, où l’oppression est arrivée à son comble. Chacun pour soi, cet adage favori de Louis-Philippe, formulant tout l’esprit bourgeois de son règne, exaspère le moine Fra Angelo.

Ah ! dit-il, chacun pour soi !… Nous ne sommes donc pas au bout de nos malheurs, et nous pouvons bien encore égrener nos chapelets