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servant dans un magasin de musique, espionnait les misères pécuniaires du monde artiste et escomptait des lettres de change au moyen de douze pour cent de profit. Pourtant cela ne m’est jamais arrivé, ni directement/m indirectement, je n’ai jamais réclamé les capitaux de Dessauer[1].

La menace de ma plume sur la voie publique est si peu dans mes manières, que chacun ici reconnaît l’invention et l’expression de gens qui ne connaissent que deux choses : l’argent et la rage de la vengeance. C’est si sale, si grossièrement inventé, si collant, si puant, comme l’imagination d’une punaise, c’est par là que je reconnais mes « vieux camarades de Papenheim[2] ». Leur premier mot est toujours que l’on écrit contre eux, parce qu’ils n’avaient pas voulu prêter de l’argent. Allez, rendez suspects les motifs qui nous font parler de votre misère, calomniez le bâton qui touche votre dos, les cicatrices qu’il y laisse n’en seront pas moins cuisantes et visibles, comme tout fait réel.

En ce qui concerne M. Saphir, je lui ai bien confessé, lorsqu’il me fit sa visite, le vrai motif, mais il a eu tort de lui donner la publicité. Je vois par tes allusions que sa mémoire n’a pas été très fidèle dans ses récits et que des erreurs ont dû lui échapper.

De toute ma famille, je ne lui ai parlé que de toi.

Je ne lui ai pas donné de détails sur mes revenus, je ne lui ai sûrement dit que ce que je ne cache à personne et ce que j’ai bien dit aux autres Viennois qui me visitèrent ces derniers jours ; je lui ai dit notamment qu’ici, et grâce à ma maladie, il me fallait vingt-quatre mille francs par an, tandis que mes revenus annuels de la patrie ne montaient pas au delà de douze mille, de sorte que sans les honoraires pour mes publications allemandes et françaises je ne pourrais pas exister.

Les dernières, mon cher frère, ont un succès miraculeux, et avec Kampe, j’ai ouvert des pourparlers qui auront un meilleur résultat que tu ne le crois.

  1. Nous attirons l’attention sur ce passage de la lettre de Heine que nous soulignons et qui semble contenir une très vague allusion soit à Léo (ami de Chopin, mécène et en même temps commerçant de vins en gros) et à ses relations avec Dessauer, soit à Schlesinger, l’éditeur musical connu. Si, comme Heine l’assure, rien de semblable à un emprunt « n’était jamais arrivé », pourquoi alors tout ce racontar soudain sur « un capitaliste musical », et son « serviteur musical », et même l’indication du chiffre précis de 12 pour 100, moyennant lesquels ce « bailleur de fonds » escomptait ses lettres de change ? Nous devons confesser que les assertions : « Je n’ai pas emprunté d’argent à Dessauer », « je ne me suis pas adressé à Dessauer », même les plus catégoriques qui se répétaient à satiété durant cette polémique, nous semblent contenir une allusion tacite à quelqu’un à qui Heine avait emprunté de l’argent par l’intermédiaire de Dessauer. Mais ni Heine ni Dessauer ne crurent possible de nommer le mécène car c’était pour ainsi dire un secret professionnel.
  2. Expression de Wallenstein de Schiller.