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déroute, ce sera autre chose. On annonce toujours une cabale. Les uns la disent formidable ; les autres disent qu’ils n’y aura rien ; nous verrons bien. Le moment du calme est venu pour moi qui n’ai plus rien à faire que d’attendre l’issue. La salle sera comble et il y en aura autant à la porte. De mémoire d’homme l’Odéon n’a vu une pareille rage. L’empereur et l’impératrice assisteront à la première ; la princesse Mathilde en face d’eux, le prince et la princesse Napoléon au-dessous. M. de Morny, les ministères, la police de l’empereur nous prennent trop de place, et ce n’est pas le meilleur de l’affaire. Nous aimerions mieux des artistes aux avant-scènes que des diplomates et des fonctionnaires. Ces gens-là ne crèvent pas leurs gants blancs contre une cabale. Il n’y a que le prince qui applaudisse franchement.

Enfin, nous y voilà ! Les décors sont riches et laids. L’orchestre sera rempli de mouchards, rien ne manquera à la fête. Marchai ne demande qu’à étriper les récalcitrants. Le parterre est pris par des gens en cravate blanche et en habit noir. À demain des nouvelles. J’ai vu enfin M. Harmant à l’Odéon. Il m’a dit qu’il viendrait me voir après la pièce. Mario Proth va faire un article sur Callirhoé.

On voit déjà par cette lettre que les événements qui eurent lieu le jour de la première de Villemer se préparaient en grande partie à l’avance ; ils ne dépendirent pas du succès ou des qualités de cette pièce, ils avaient leur source dans l’excitation générale de la sallo, dans l’humeur batailleuse des deux camps ennemis, qui se communiqua à tous les spectateurs et même à la foule du dehors. La prévision de Mme Sand se réalisa complètement. Voilà ce qu’elle écrivit à son fils et à sa belle-fille la nuit du 29 février au 1er mars :

Paris, mardi 1er mars 1864.
2 heures du matin.
Mes enfants,

Je reviens escortée par les étudiants aux cris de : « Vive George Sand ! Vive Mademoiselle La Quintinie ! À bas les cléricaux ! » C’est une manifestation enragée en même temps qu’un succès comme on n’en a jamais vu, dit-on, au théâtre.

Depuis dix heures du matin les étudiants étaient sur la place de l’Odéon, et, tout le temps de la pièce, une masse compacte qui n’avait pu entrer occupait les rues avoisinantes et la rue Racine jusqu’à ma porte. Marie a eu une ovation et Mme Fromentin aussi, parce qu’on l’a prise pour moi dans la rue. Je crois que tout Paris était là ce soir.