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par an, qui l’aide bien chétivement à vivre. Il a essayé plusieurs fois, et, je crois, par l’intermédiaire de notre ami Émile Aucante, d’emprunter dans son pays une somme de mille ou douze cents francs, mais sans succès.

Desages me donnerait sa signature. Avec cette signature, par votre aide et crédit, me serait-il impossible d’emprunter, pour trois ou quatre ans, quelques milliers de francs ? Ce que je sais, c’est que je mériterais cette bonne fortune par mes intentions et mon courage.

Je ne veux pas refaire Boussac, qui, d’ailleurs, a été une bonne chose ; je ne voudrais pas laisser souffrir plus longtemps tant de personnes. Si mon projet ne réussit pas, une chose est inévitable : nous serons forcés d’émigrer en Amérique. Les jeunes, parmi nous, m’y poussent, mais je résiste. Je ne voudrais pas aller mourir dans un pays qui n’est que l’Angleterre en décomposition. J’aime mieux rester plus près d’un monde où, avec quelques ennemis, nous avons trouvé tant d’amis sympathiques, où nous avons vécu et pensé ensemble.

Avisez donc, chère amie. Si vous pouvez m’aider encore, vous le ferez, et je ne puis m’empêcher d’ajouter que vous ferez bien. Si vous ne le pouvez pas, que cette lettre ne vous donne pas de chagrin et ne trouble pas votre solitude. Vous écrire ceci aura satisfait mon cœur, toujours plein de reconnaissance pour vous, et votre réponse, quelle qu’elle soit, sera pour moi un heureux événement.

Votre ami,

Pierre Leroux.

Voici mon adresse : Par voie de Londres. M. Arnold, Hight Knoll-cottage, Claremont-hill, Saint-Hélier. (Ile de Jersey.)

George Sand resta jusqu’à la fin fidèle à son « maître ». Lorsqu’il mourut au milieu des horreurs de la guerre civile, le 12 avril 1871, et que la Commune, ayant majestueusement repoussé la proposition du citoyen Jules Vallès de lui acheter une fosse à perpétuité « comme contraire aux principes démocratiques et révolutionnaires », ne daigna qu’envoyer deux de ses représentants aux funérailles, « non du philosophe partisan de l’école mystique, dont nous portons la peine aujourd’hui, mais de l’homme politique, qui le lendemain des journées de juin, a pris courageusement la défense des vaincus[1] »,

  1. Nous citons cet extrait de l’Opinion nationale du 16 avril 1871, d’après le livre de M. F. Thomas. (V. Pierre Leroux, p. 165.)