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votre participation à cette revue. C’est une question générale dans le public : comment George Sand écrit-elle dans la Revue des Deux Mondes ? En ce moment même où l’article dont je vous parle, article violent d’un esprit grossier, malgré son air de fatuité aristocratique, attire beaucoup d’attention et occupe toute la presse, il y a plus de danger et je dirai, en conscience, de mal à ce que vos écrits paraissent là.

C’est donc un bien, suivant moi, que Buloz vous ait fait tant d’objections. Il s’agit maintenant de chercher le remède commercial. Envoyez-moi le renseignement que je vous demande, et, si cela est possible, votre manuscrit. Je vous soumettrai, courrier par courrier, mes idées.

Je suis bien content que vous ayez dès à présent la preuve que je ne suis pas coupable de vous avoir oubliée pour mon petit livre. Vraiment, après tout, j’aurais bien pu ne pas vous l’envoyer sans être coupable. J’ai de vous une pensée tout à fait à part. Il me semble que vous savez tout par intuition et que rien ne doit vous être envoyé à lire. Ensuite tout ce qu’il y a dans ce petit avorton de livre, vous le savez mieux que moi, vous l’avez dit cent fois, puisque c’est la tristesse de l’époque. Quant à mon mutisme, en général, il a une autre cause. J’aurais trop de choses à vous dire. « Je n’écris point de lettres, dit Rousseau, sur les moindres sujets, qui ne me coûtent des heures de fatigue, ou, si je veux écrire de suite ce qui me vient, je ne sais ni commencer ni finir ; ma lettre est un long et confus verbiage : à peine m’entend-on quand on me lit… » C’est absolument ma peinture ; et je suis content de vous avoir transcrit cette citation, afin que vous me pardonniez toujours mon silence qui vient de cette faiblesse de ne pas pouvoir écrire des lettres.

Je vous avais pourtant écrit une longue lettre en réponse à la vôtre si belle et si bonne d’il y a quelques mois ; et c’était Viardot qui devait vous la porter. Mais il m’a pris un remords ; j’ai craint que cette lettre ne fût, comme on dit, bellérophontine, c’est-à-dire, comme disent les pédants, d’après ce qui advint à Bellérophon (histoire fort ancienne). Vous savez que dans votre lettre vous me parliez de ma sublime indifférence pour la fortune, et que vous trouviez que, devant l’obligation de recevoir aide et appui de quelques amis, je faiblissais, de quoi vous me remontriez. Hélas ! oui, je faiblis, et je vous en disais les raisons. Je trouve mes amis infiniment trop bourgeois pour que je puisse recevoir leurs services. Il s’est élevé sur ce point dans mon âme, depuis un an, des orages terribles. J’ai vu toute la profondeur de cette question de l’indépendance personnelle ; et j’ai souffert, profondément souffert, en moi et pour mes amis. Mes généralités pouvaient s’appliquer à ce bon, mais faible Viardot, qui n’a pas les ailes que je lui voudrais ; et voilà pourquoi j’ai supprimé ma lettre. Je me sens fanatique, chère