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Mme (coupure) m’a été longtemps antipathique. Mais j’ai toujours estimé en elle de grands côtés de caractère. Elle m’a blessée par des petitesses et les a grandement réparées. Elle est petite, maigre, mal mise et mal faite ; jolie pourtant. Elle n’a de grâce que dans les fossettes des joues, et son sourire rachète toute sa personne. Latouche disait que c’était un joli petit pédant, couleur de rose[1]. Chopin dit que c’est un écolier en jupons. Elle avait de superbes cheveux blond cendré il y a six ans. En Italie, ils sont devenus bruns, ce qui ne lui va pas plus mal. Elle ne les teint pas, car elle n’a pas l’apparence de coquetterie. Elle n’en a pas même assez, car elle manque absolument de charme, et sauf Bulwer qui l’a aimée mal et longtemps, je n’ai jamais vu un homme à qui elle plût. Il me semble que si j’étais homme, elle me plairait pourtant, car j’adore les femmes sans affectation, et elle est admirablement naturelle[2].

  1. Dans l’Histoire de ma vie, en parlant des amis qu’elle n’avait « pas perdus de vue », Mme Sand nomme Mme Allart et lui voue les lignes suivantes : « Mme Hortense Allart, écrivain d’un sentiment très élevé et d’une forme très poétique, femme savante, toute jolie et toute rose, disait Latouche, esprit courageux, indépendant, femme brillante et sérieuse, vivant à l’ombre avec autant de recueillement et de sérénité qu’elle saurait porter de grâce et d’éclat dans le monde, mère tendre et forte, entrailles de femme, fermeté d’homme… »
  2. Mme Hortense Allart de Méritens, romancière et auteur d’études historiques et philosophiques, amie de Sainte-Beuve, de Bulwer, de Chateaubriand et de Gino Capponi, appartenait à la famille des autoresses Gay, étant la fille de Mme Mary Gay, cousine de Mlle Delphine Gay et nièce de Mme Sophie Gay, — toutes femmes de lettres connues. Elle naquit à Milan en 1801, eut une vie très orageuse, épousa assez tard M. Louis de Méritens, publia plusieurs romans, puis une série d’œuvres historiques très sérieuses, des œuvres de philosophie : Nouvelle Concorde des quatre Évangélistes, Novum Organum ou Sainteté philosophique, et enfin trois volumes de Mémoires, absolument remarquables par leur franchise et leur audace, publiés sous le titre d’Enchantements de Prudence Saman L’Esbatx, dont le premier volume parut en 1872, le second, intitulé Nouveaux Enchantements, en 1873, et le dernier, appelé Derniers Enchantements, en 1874. Nous reparlerons de ces ouvrages et de leur auteur. Notons, dès à présent, qu’on y trouve, à côté de révélations autobiographiques tout à fait surprenantes, des pensées très profondes, très fines et les détails les plus curieux sur ses amis intimes, littéraires et politiques. Ce fut une femme extrêmement bien douée, originale et remarquable. Ses Lettres inédites à George Sand méritent bien d’être publiées tant par leur verve, leur style élégant, spirituellement enjoué, leur sincérité émue que par les jugements pleins d’originalité, de profondeur rare et la modestie sympathique, la conscience de sa valeur secondaire à côté du « grand George », et par la sincère admiration pour ce dernier. George Sand écrivit, outre les lignes de L’Histoire de ma vie, deux fois sur son aimable et spirituel confrère. En 1857, elle publia dans le Courrier de Paris un article sur le Novum Organum, et en 1873 un autre dans le Temps sur les Enchantements de Prudence Saman, qui fait maintenant partie du volume des Impressions et Souvenirs.