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Ébauché en deux ou trois traits de plume, le portrait de la seconde femme du peintre, Mme Laure, une coquette fanfreluchée, ruinant son mari et s’apprêtant à vivre aux dépens de sa belle-fille, est également très réussi. Cette Mme Laure nous paraît une vraie héroïne du second Empire, très ressemblante à ses sœurs les héroïnes de Zola, Daudet, etc. George Sand sut saisir et peindre en peu de mots, avec un art extraordinaire, ce nouveau type, ressemblant si peu aux héroïnes de sa jeunesse. Les « grandes coquettes » et les dissipatrices ont existé de tous les temps, George Sand les a peintes dans ses premiers romans, mais Mme Laure possède un si naïf cynisme, elle bat monnaie avec une facilité merveilleuse qui ne se voyait que chez les petites dames contemporaines de Mie de Montijo. Intéressants et très bien peints également, le vieux comte de Pictordu et sa fille. Ces deux personnages reflètent le monde de vieilles comtesses où Aurore Dupin vécut sa toute première jeunesse, et de celui de ses aristocratiques amies de couvent. Très curieux type aussi le docteur, ami des arts, il est le porte-parole de l’auteur lui-même. Il estime qu’un vrai talent fera toujours son chemin, qu’il ne faut que le diriger, mais point le cultiver comme une fleur de serre. Il est partisan de l’élément fantastique dans l’existence de l’enfant[1]. C’est pour cela qu’il laisse la jeune artiste se libérer peu à peu elle-même de sa croyance aux visions fantastiques — aux apparitions de la « muse de Pictordu », etc. La fillette devine que toutes ses visions n’étaient que de vagues élans de sa fantaisie créatrice : elle ne savait pas encore la manière de les réaliser en une forme plastique. Tout cela est entremêlé de descriptions adorables du vieux château et du jardin, ce qui permet à George Sand de briller, comme toujours, par ses connaissances botaniques. Et « l’élément fantastique », toutes ces apparitions de la fée du château, de la statue parlante, sont si poétiquement vagues, et plus tard se laissent s’expliquer d’une manière si naturelle, qu’elles ravissent le lecteur le plus « rationnel », aussi bien que les enfants.

  1. À comparer avec ce que George Sand dit dans l’Histoire de ma vie (vol. Il, p. 166-160) du merveilleux dans la vie de l’enfant.