Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T4.djvu/657

Cette page n’a pas encore été corrigée

À ce moment, tandis que Rémy présente un bouquet à la Grand’Rose, et que tout le monde commence à apporter son offrande, à mettre par terre à côté de la gerbe, qui cinq francs, qui un sou, celle-ci son dé pour Claudie, celui-là sa montre pour le vieux Rémy, jusqu’à un marmot qui apporte candidement une pomme verte, s’approche aussi Ronciat. Rémy le remarque et repousse sa main qui tendait de l’argent : il a reconnu le séducteur de sa petite-fille. Il est bouleversé, il chancelle, le courroux lui coupe la voix, il avale de l’eau-de-vie pour se donner du courage et il se déchaîne en malédictions contre les mauvais riches qui vivent du travail des pauvres, qui sont la cause de leurs malheurs, qui leur ravissent plus que la vie, l’honneur. C’est en vain que Ronciat s’efforce d’étouffer les paroles du vieillard en ordonnant aux musiciens de jouer. Le père Rémy ne se laisse pas interrompre. Mais les forces lui manquent. « Voici la mort ! » s’écrie-t-il, et il tombe foudroyé sur la Gerbaude. Confusion générale, cri déchirant de la pauvre Claudie, et le rideau tombe.

Rémy n’est pas mort, ce n’était qu’une congestion dont il se remit peu à peu dans la maison des Fauveau qui lui donnèrent hospitalité ainsi qu’à Claudie. Il arrive ce qui doit arriver. Sylvain s’éprend de plus belle de Claudie, elle l’aune aussi en secret ; la mère Fauveau le voit, elle est toute portée à consentir au mariage de son fils avec la douce, modeste et laborieuse Claudie, mais le père Fauveau a bien autre chose en tête. Il ne veut pas entendre parler d’une alliance avec une déshéritée, et, afin d’accélérer les choses, il s’adresse directement à dame Rose. Or Ronciat, qui a aussi des vues sur Rose et vient à la ferme en qualité de prétendant, demande une réponse décisive.

La Grand’Rose, tout écervelée et légère qu’elle paraisse, est toutefois très bonne observatrice et très intelligente. Elle a remarqué ce que les autres n’avaient point vu ; elle a vu que le père Rémy avait repoussé la main de Ronciat, elle a compris l’allusion aux « mauvais riches qui ravissent plus que la vie, l’honneur », elle demande à son tour une réponse précise à Ronciat : qu’y a-t-il sur sa conscience ? Et, sans attendre cette réponse, elle lui refuse catégoriquement sa main, lui disant