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de l’argent, tout l’agent peut-être, en vous livrant le manuscrit ; quelle que soit l’époque rapprochée où il sera prêt. Voyez si c’est possible ; car, pour moi, le contraire de ce possible serait l’impossible.

Je vis au jour le jour depuis vingt-cinq ans, et ça ne peut pas être autrement, et ça n’est pas ma faute ; si bien que je n’ai pas pu acheter un manteau et une robe d’hiver cette année, parce que l’accident de la Presse a dérangé mon ordre, ordre très réel dans ce que les avares appellent mon désordre. Je sais me priver moi-même et de tout, même quelquefois du nécessaire ; mais je ne veux pas qu’un chat s’en ressente et s’en aperçoive autour de moi. Ainsi voilà, entre nous : faites que Ton soit de parole ; on en a manqué pour le Bois-Doré, et j’ai attendu un reliquat de compte qui m’aurait permis de me vêtir en raison de la froidure ; et surtout d’en vêtir d’autres, qui n’ont pas, comme moi, la ressource d’acheter une couverture de laine en guise de ouate et de soie.

Donc, grâce à la couverture de laine, je m’emballe demain matin pour faire douze lieues au grand air. Je vais voir la belle Creuse et ses petites cascades glacées. C’est votre faute si je gèle, à force de lire le Groenland, je me suis amourachée des glaciers, des nuits polaires, des tempêtes et des banquises[1].

[Manceau à qui je vous Us à la veillée espère que nous rencontrerons des ours blancs et il a envie de démolir sa chaumière[2] pour la faire garnir de peau de phoque sur toutes les coutures. Nous serons de retour dans bien peu de jours, écrivez-moi donc comme si de rien n’était.

Dieu veuille que mon Maurice soit gentil, qu’il s’amuse et qu’il n’ennuie pas les autres à la pantomime. S’il n’est pas gêné et intimidé, il sera charmant, mais il lui faudrait sa musique, c’est-à-dire sa maman, pour suivre ses fantaisies ; c’est là où il brille. Or sa maman ne peut aller le faire danser, faute de quibus. Mais ça ne fait rien, je penserai à lui, à vous et je serai bien contente si vous avez un bon moment d’oubli et de gaîté. Moi je ne m’ennuie jamais et nulle part ; il ne faut donc me plaindre que d’être privée de vous voir][3]. Bonsoir.

    cèrent à réapparaître de plus en plus souvent dans la revue de Buloz et finirent par y reprendre leur résidence fixe.

  1. À comparer avec la lettre du 17 décembre 1857 au prince Jérôme dans laquelle Mme Sand déclare qu’en « lisant son voyage dans le Nord, son imagination était très allumée ».
  2. À Gargilesse. Nous racontons dans le chapitre suivant comment Manceau avait acheté un pied-à-terre dans ce village, pour que Mme Sand eût un lieu de repos et de travail tranquille pendant ses courses aux bords de la Creuse renouvelées en 1857 après une interruption de dix années.
  3. Tout le passage de la lettre du 9 janvier que nous entourons de crochets est médit, il manque dans le vol. IV de la Correspondance, où il devrait faire suite aux lignes imprimées à la p. 127.