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années pour t’assurer un entrain de commandes. Je ne m’étonne donc pas que tu partes le matin pour rentrer le soir sans résultat. C’est en se faisant connaître, sans gagner d’argent d’abord, qu’on arrive à en gagner. Je suis fâchée que tu n’ayes pas traité avec l’Illustration pour une partie de tes costumes italiens[1], ou pour tout autre chose. Mais je crois que quand tu seras ici, tu pourras leur donner quelques séries qui réussiront toujours avec un texte de moi, et si peu qu’elles soient payées, elles te donneront la publicité qui est la première condition pour être demandé. Le travail dans les arts ne se trouve jamais quand on le cherche.

Je ne vois pas que tu puisses faire seul une pièce. Quand même l’action en serait bonne, tu ne sais pas assez écrire pour faire un bon dialogue et d’ailleurs ce n’est pas à Paris que tu feras de la littérature. C’est à Nohant je crois que les conditions seraient meilleures. Je voudrais qu’à Paris tu songes à travailler, sinon la peinture si tu y renonces, du moins le dessin qui te servira toujours, et que tu ne peux pas avoir la prétention de savoir parfaitement. Je crois que tu n’aurais pas raison de renoncer à la peinture, si tu pouvais l’étudier à Paris. Le peux-tu ? et le veux-tu ? La question n’a jamais été résolue encore. Il ne faudrait pas y dépenser 500 ni même 400 francs par mois. Nous n’avons pas ce moyen-là, quand le séjour se prolonge. Il ne faudrait pas louer un appartement avec atelier, de 7 à 800 francs, pour n’y pas travailler sérieusement. Tout cela toi seul peux le résoudre. Je ferai à cet égard avec toi les essais que tu voudras, mais, si, au bout de quelques mois, ces sacrifices ne servaient à rien, et si tu conservais l’habitude de flâner, tu es trop raisonnable au fond pour vouloir que cela durât, et que mon travail de nègre ne servît qu’à te faire perdre ton temps.

Rien de nouveau ici, je travaille beaucoup. Je fais vingt pages par jour d’un roman qu’on me paye fort peu quoi qu’en dise Hetzel. Mais ne lui en parle pas, il fait pour le mieux, les arts sont au rabais…

Reviens quand tu voudras, puisque tu prétends toujours que c’est moi qui t’empêche de travailler à Paris. Seulement songe que je ne peux pas t’y entretenir à 500 francs par mois, que cela fait une rente de 6 000 francs et que c’est bien l’impossible. Et puis tâte-toi bien, et vois si vraiment tu y employés ton temps, utilement pour le présent ou pour l’avenir, je m’en rapporte à toi-même, et ferai ce que tu voudras, quelque ennui que j’éprouve à être séparée de toi.

  1. C’est-à-dire ses dessins des personnages de la Comédie italienne qui, plus tard, en 1859, parurent en deux volumes sous le titre de Masques et Bouffons avec une préface de George Sand.