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dans un énorme vieux couvent en ruines et délaissé des chartreux que Mend[izabal] semble avoir expulsés expressément pour moi[1]. C’est tout près de Palma, et rien ne peut être plus charmant : des cellules, un cimetière des plus poétiques !… Enfin je sens que je m’y sentirai bien. Ce n’est que mon piano qui me manque encore. J’ai écrit à Pleyel. Demande-le-lui et dis-lui que je suis tombé malade le lendemain de mon arrivée, mais que je vais mieux. Parle peu en général de moi et de mes manuscrits. Écris-moi. Jusqu’à présent je n’eus pas une seule lettre de toi.

Dis à Léo que je n’ai pas encore envoyé les Préludes à Albrecht, mais que je les aime bien[2] et leur écrirai prochainement.

Porte toi-même cette lettre à mes parents à la poste et écris-moi le plus vite possible. Salue Jeannot. Ne dis à personne que j’avais été malade, on ne ferait que potiner là-dessus[3].

Un peu plus tard, le 14 décembre 1838, Chopin écrit encore à Fontana :

Toujours pas un mot de toi, et c’est déjà ma troisième ou ma quatrième lettre. Avais-tu affranchi tes lettres ? Mes parents n’ont peut-être point écrit ? Est-ce qu’il leur serait arrivé quelque chose ? Ou bien as-tu été paresseux ? Non, tu n’es pas paresseux, tu es si serviable. Tu as sûrement envoyé mes deux lettres de Palma à mes parents. Et sûrement tu m’as écrit, mais la poste d’ici, la plus inexacte du monde, ne m’a pas donné tes lettres. Ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai reçu l’avis que mon piano partit le 1er décembre de Marseille, à bord d’un bâtiment de commerce. La lettre mit quatorze jours à venir de Marseille !

  1. C’est en 1836, sous le ministère de Mendizabal, que fut publiée la loi prescrivant la démolition de tous les couvents renfermant moins de douze frères et la confiscation des biens monacaux au profit du gouvernement. La chartreuse contenait treize moines, elle ne fut donc pas démolie, mais fermée.
  2. Les Léo étaient apparentés à Moscheles ; c’était une famille de banquiers et de mécènes qui protégeaient nombre d’artistes et de musiciens vivant à Paris.
  3. Il est très curieux de comparer les lignes que nous avons soulignées avec la recommandation de George Sand à Boucoiran qui se trouve dans sa lettre de Venise, datée du 4 février 1834 (cf. t. II de notre ouvrage, p. 64) : « Je viens encore d’être malade cinq jours d’une dysenterie affreuse. Mon compagnon de voyage est très malade aussi. Nous ne nous en vantons pas, parce que nous avons à Paris une foule d’ennemis qui se réjouiraient en disant : « Ils ont été en Italie pour s’amuser et ils ont le choléra ! Quel plaisir pour nous, ils sont malades !… » Elle répétait la même chose dans sa lettre du 5 février : « Gardez un silence absolu sur la maladie d’Alfred… recommandez à Buloz de n’en pas parler et à Dupuy aussi. »