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M. Filon parle de l’ouverture de l’Assemblée du 4 mai et puis de l’événement du 15 mai ; et il ne s’y trouve rien qui puisse faire croire que le dîner en question eut lieu après ce dernier événement. Nous croyons qu’il y a une simple erreur de mémoire de la part de M. de Tocqueville ; au lieu de la « Fête de la Concorde » (le 21 mai), il faudrait lire : « fête de la Fraternité » (20 avril), et cela mettrait immédiatement de l’ordre dans les dates et cadrerait parfaitement avec la date de la lettre de Mérimée : le déjeuner eut lieu entre la Fête de la Fraternité et les élections ; donc entre le 20 avril et le 5 juin. Mais laissons la parole à M, de Tocqueville lui-même :

… Je ne doutais pas, pour mon compte, que nous ne fussions à la veille d’une lutte terrible ; toutefois, je n’en compris bien les périls que par une conversation que j’eus vers cette époque avec la célèbre Mme Sand. Je la vis chez un Anglais de mes amis, Milnes, membre du Parlement, qui était alors à Paris. Milnes était un garçon d’esprit qui faisait et — ce qui est plus rare — qui disait beaucoup de bêtises. Combien ai-je vu de ces figures dans ma vie, dont on peut affirmer que les profils ne se ressemblent pas ; hommes d’esprit d’un côté et sots de l’autre ?… Je n’ai jamais va Milnes qu’engoué de quelqu’un ou de quelque chose. Cette fois-là, il était épris de Mme Sand et, malgré la gravité des événements, il avait voulu donner à celle-ci un déjeuner littéraire ; j’assistai à ce déjeuner et l’image des journées de Juin, qu suivirent presque aussitôt après, au lieu d’en effacer de mon récit le souvenir, l’y réveille.

La société était fort peu homogène ; indépendamment de Mme Sand, j’y trouvai une jeune dame anglaise, fort modeste et très agréable, qui dut trouver assez singulière la compagnie qu’on lui donnait, quelques écrivains assez obscurs et Mérimée[1]. Milnes me plaça à côté de Mme Sand ; je n’avais jamais parlé à celle-ci, je crois même que je ne l’avais jamais vue, car j’avais peu vécu dans le monde d’aventuriers littéraires qu’elle fréquentait. Un de mes amis lui ayant demandé un jour ce qu’elle pensait de mon livre sur l’Amérique : Monsieur, lui dit-elle, je suis habituée à ne lire que les livres qui me sont offerts par leurs auteurs. J’avais de grands préjugés contre Mme Sand, car je dé-

  1. Nous avons vu par la lettre de Mérimée que, parmi ces écrivains, il y avait Victor Considérant et « quelques fouriéristes ». Nous présumons que c’étaient Pététin, Pompéry et Victor Borie, quoique ce dernier ne fût nullement « fouriériste ».