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nistes des idées les plus pures. Mais, en 1838, l’adepte de Pierre Leroux et de sa doctrine du progrès n’avait pas idée des horreurs auxquelles elle assista dix ans plus tard, qui la refroidirent souverainement sur le chapitre de ces remèdes allopathiques du progrès. En 1838, disons-nous, cette idée ne l’effarouchait point, elle croyait naïvement que c’était là la marche nécessaire de l’histoire, que l’idée chrétienne elle-même ne peut triompher sans victimes expiatoires. C’est pour cela qu’au moment même où le moine Alexis lit joyeusement à son jeune ami les lignes de l’Évangile de saint Jean, magnifiquement enluminées d’azur, d’or et de pourpre, les premiers pelotons des troupes républicaines françaises, marchant pour défendre la liberté, l’égalité et la fraternité, apparaissent soudainement à proximité du couvent. À ces champions de la liberté les serviteurs du Christ semblent les représentants des forfaits, de la stagnation et de l’imposture sur la terre. Envahissant l’église, ils la dévastent et la pillent ; ils commettent le sacrilège de jeter par terre et de fouler aux pieds la statue du Crucifié, et ils tuent le vieil Alexis. Celui-ci tombe à côté de la statue renversée du Dieu d’amour, mais il meurt sans perdre ni sa foi ni son espérance en un avenir meilleur pour l’humanité, ; il pressent même que ses propres assassins, ces profanateurs du sanctuaire, deviendront les représentants, les défenseurs de ses plus chères croyances.

Ceci est l’œuvre de la Providence, et la mission de nos bourreaux est sacrée, bien qu’ils ne le comprennent pas encore ! Cependant ils Font dit, tu l’as entendu : c’est au nom du sans-culotte Jésus qu’ils profanent le sanctuaire de l’église. Ceci est le commencement du règne de l’Évangile éternel, prophétisé par nos pères.

« Puis il tomba la face contre terre, et un autre soldat lui ayant porté un coup sur la tête, la pierre du Hic est fut inondée de son sang :

« Ô Spiridion ! dit-il d’une voix mourante, ta tombe est purifiée ! Ô ! Angel ! fais que cette trace de sang soit fécondée. Dieu ! je t’aime, fais que les hommes te connaissent !… »

« Et il expira. Alors une figure rayonnante apparut auprès de lui, je tombai évanoui… »

C’est ainsi qu’Angel termine son récit — et ces mots sont les derniers du roman.