Page:Karenin - George Sand sa vie et ses oeuvres T3.djvu/562

Cette page n’a pas encore été corrigée

J’ai écrit à Mlle de Rozières qu’elle fasse poser par mon tapissier les tapis, les rideaux et les portières. Bientôt il faudra penser à mon moulin, c’est-à-dire aux leçons. Probablement je partirai d’ici avec Arago et je laisserai pour un certain temps encore mon hôtesse à la maison ; son fils et sa fille ne sont pas pressés de rentrer en ville. Il a été question cette année d’aller passer l’hiver en Italie, mais la jeunesse préfère la campagne. Malgré cela, au printemps, si Sol ou Maurice se marient (les deux affaires sont sur le métier), ils changeront probablement d’avis. Entre nous, je crois que cela finira par là cette année. Le garçon a vingt-quatre ans et la jeune fille dix-huit. Mais que tout ceci reste encore entre nous.

Cinq heures ! et il fait déjà si sombre que je n’y vois presque plus. Je termine cette lettre. Dans un mois, quand je serai à Paris, je vous en écrirai davantage…


Nous avons omis dans cette lettre les passages où Chopin fait part à ses parents de toutes les nouvelles scientifiques, artistiques et mondaines du moment. Eh bien, c’est justement par ces nombreuses nouvelles indifférentes et par des récits de choses qui n’avaient aucune importance pour lui que Chopin voulait masquer ce qui le préoccupait véritablement et ce qui se laisse pourtant si bien lire dans les passages que nous avons copiés. Tout y arrête notre attention : le blâme évident de tout le train de Nohant, qui ne se laissait jamais voir auparavant dans les lettres de Chopin à sa famille, l’inimitié marquée pour Maurice et pour cette « cousine », le désir de cacher sous un babillage sans importance sa vraie tristesse actuelle, l’attente de « changements » à l’occasion des mariages des enfants de Mme Sand, l’éloignement conscient et voulu de Chopin de la bruyante jeunesse, — il semble qu’il y avait des choses ou des gens qui lui déplaisaient, — la morne solitude en compagnie du petit Marquis, la critique sévère de ses œuvres, le mécontentement de soi-même, rendant le travail lent, et enfin le ton général de tristesse et d’abattement jamais sensible auparavant.

Il n’y a pas à en douter, cette lettre fut écrite après l’événement qui se passa cet été, la rupture morale avec George Sand déjà consommée, et lorsqu’il n’existait entre eux que de bons rapports d’habitude, amicaux, mais tout extérieurs. Ces rapports-