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française, établie dans le pays, avait eu la bonté de nous céder quelques livres de plumes qu’elle avait fait venir pour elle de Marseille et dont nous avions fait deux oreillers à notre malade. Nous possédions plusieurs tables, plusieurs chaises de paille comme celles qu’on voit dans nos chaumières de paysans, et un sopha voluptueux en bois blanc avec des coussins de toile à matelas rembourrés de laine. Le sol très inégal et très poudreux de la cellule était couvert de ces nattes valenciennes à longues pailles qui ressemblent à un gazon jauni par le soleil, et de ces belles peaux de moutons à longs poils d’une finesse et d’une blancheur admirables, qu’on prépare fort bien dans le pays. Nos malles de cuir jaune pouvaient passer là pour des meubles très élégants. Un grand châle tartan bariolé, qui nous avait servi de tapis de pied en voyage, devint une portière somptueuse devant l’alcôve et mon fils orna le poêle d’une de ces charmantes urnes d’argile de Félanitz, dont la forme et les ornements sont de pur goût arabe…

… Le pianino de Pleyel, arraché aux mains des douaniers après trois semaines de pourparlers et quatre cents francs de contribution, remplissait la voûte élevée et retentissante de la cellule d’un son magnifique. Enfin le sacristain avait consenti à transporter chez nous une belle grande chaise gothique sculptée en chêne, que les rats et les vers rongeaient dans l’ancienne chapelle des chartreux, et dont le coffre nous servait de bibliothèque, en même temps que ses découpures légères et ses aiguilles effilées, projetant sur la muraille, au reflet de la lampe du soir, l’ombre de sa riche dentelle noire et de ses clochetons agrandis, rendaient à la cellule tout son caractère antique et monacal…


Ce qu’il y avait de plus difficile à arranger, c’étaient le service et la nourriture. La chartreuse ne renfermant d’autres habitants que le sacristain qui demeurait dans une maisonnette à proximité du couvent, et le pharmacien, qui, échappé à la rigueur de l’édit, caché dans sa cellule, ne se montrait que rarement aux voyageurs. Ses relations avec eux se bornaient à leur vendre de temps à autre quelques parfums ou quelques simples drogues. Il y avait en outre à la chartreuse une certaine Maria-Antonia, Espagnole d’origine, une sorte de femme de ménage dilettante, qui se mettait au service de tous les voyageurs habitant la chartreuse. Elle était aimable, serviable et pieuse, ce qui ne l’empêchait pas d’être horriblement pillarde, surtout en fait de provisions ménagères. Lorsqu’elle fut secondée dans cette agréable occupation par deux indigènes servant nos voyageurs, la Nina