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À Charles Poncy, Mme Sand décrit aussi ces petits voyages et la vie à Nohant en l’été de cette même année 1845 :

J’ai été à Paris jusqu’au mois de juin, et depuis ce temps, je suis à Nohant jusqu’à l’hiver, comme tous les ans, comme toujours ; car ma vie est réglée désormais comme un papier de musique[1]. J’ai fait deux ou trois romans, dont un qui va paraître. Il a fait un été affreux ; je suis peu sortie de mon jardin, j’ai peu monté à cheval et en cabriolet, comme j’ai coutume défaire aux environs tous les ans[2]. Tous les chemins de traverse qui conduisent à nos beaux sites étaient impraticables et ma fille n’est pas du tout marcheuse. Je lui ai acheté un petit cheval noir qu’elle gouverne dans la perfection et sur lequel elle paraît belle comme le jour.

Mon fils est toujours mince et délicat, mais bien portant d’ailleurs. C’est le meilleur être, le plus doux, le plus égal, le plus laborieux, le plus simple et le plus adroit qu’on puisse voir. Nos caractères, outre nos cœurs, s’accordent si bien, que nous ne pouvons guère vivre un jour l’un sans l’autre. Le voilà qui entre dans sa vingt-troisième année et moi dans ma quarante-deuxième, et Solange dans sa dix-huitième ! Nous avons des habitudes de gaieté peu bruyante, mais assez soutenue, qui rapprochent nos âges, et quand nous avons bien travaillé toute la semaine, nous nous donnons pour grande récréation d’aller manger une galette sur l’herbe à quelque distance de chez nous, dans un bois ou dans quelque ruine, avec mon frère, qui est un gros paysan, plein d’esprit et de bonté, et qui dîne tous les jours de la vie avec nous, vu qu’il demeure à un quart de lieue. Voilà donc nos grandes fredaines.

Maurice dessine le site, mon frère fait un somme sur l’herbe. Les chevaux paissent en liberté. Les filleuls ou filleules sont aussi de la partie et nous réjouissent de leurs naïvetés. Les chiens gambadent et le gros cheval qui traîne toute la famille dans une espèce de grande brouette, vient manger dans nos assiettes. Malheureusement, nous avons peu joui de la campagne de cette façon cet été. Il a toujours plu, et les rivières ont effroyablement débordé. Mais l’automne s’annonce plus beau et j’espère que nous reprendrons bientôt nos excur-

  1. C’est nous qui soulignons. Cette phrase est à retenir, a comparaison provenant de la même source que le fait même que la phrase constate.
  2. Dans la lettre de Mme Sand à Mme Marliani de juillet 1845, imprimée dans la Correspondance à la fausse date de « juin 1844 » (t. II, p. 311), que nous avons déjà citée au chapitre iv, à propos des inondations de 1845, George Sand dit au contraire : « Quelque temps qu’il fasse, nous courons, nous montons à cheval ; Solange s’en trouve bien. »