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Solange. — Ah ! c’est donc fait comme ça des pensées ?

Quelqu’un, d’un ton judicieux. — Ni plus, ni moins !

Solange. — Ah ! ben, mignonne, donne-moi-le, pour écrire mes pensées. J’ai des pensées, moi, je vais les écrire.

— Ce n’est pas vrai, tu n’en as pas.

Solange. — Si fait.

— Dis-en donc une.

Solange. — Je t’aime.

— Et puis encore ?

Solange. — J’aime pas l’histoire grecque.

— Et encore ?

Solange. — J’ai faim.

— Encore.

Solange. — Veux-tu que j’aille jouer au jardin ?

— Va ! Voilà assez de pensées pour un jour.

Piffoel, seul. (Il est dans sa chambre dans la même robe de chambre que l’année 1837, couché sur le même sopha, vis-à-vis la même table, et sa plume continue à n’être pas taillée.)

Monologue. — Puisque mon cahier est retrouvé, je vais reprendre mon journal. À la vue de ce journal, il me vient un tas de pensées. (Le spectre de Buloz se dessine dans un rayon de soleil qui fenêtre par la jalousie. Piffoël est en proie à la plus affreuse agitation.)

Piffoel. — Dieu ! quelle horrible vision. Retire-toi, fantôme épouvantable !

Le Spectre. — Quatre mille…

Piffoel. — Ah ! je connais ton motif ! toujours la même sentence ! Voix du sépulcre, retourne au royaume du silence. Ne peux-tu me laisser respirer un instant ?…

Le Spectre. — Quatre mille cinq…

Piffoel. — N’achève pas ! Je sais le reste ! Tu veux donc boire jusqu’à la dernière goutte de mon encre, insatiable lamie ?

Le Spectre. — Quatre mille cinq cents…

Piffoel. — Quatre mille cinq cents malédictions ! Quatre mille cinq cents paires de soufflets…

Le Spectre. — Quatre mille cinq cents francs…

Piffoel. — Plutôt quatre mille cinq cents messes pour le repos de ton âme !… Mais as-tu une âme ? Qu’est-ce que l’âme d’un éditeur ?…


Or, voici ce que Mme Sand écrivait à Mme Marliani, à propos de ce même « éditeur » quelques mois auparavant, — le 17 mars 1839 de Marseille, — et fort sérieusement, cette fois.