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qu’ils y habitèrent le n° 16, d’octobre 1839 à l’hiver 1842. Citons d’abord le passage des Lettres parisiennes de Gutzkow[1], où il raconte son premier pèlerinage manqué chez Mme Sand, grâce auquel pourtant nous pouvons nous faire une idée très nette de cette petite oasis abritée, au beau milieu de la grande ville bruyante, que les amis de Chopin surent trouver pour la grande romancière avide de silence et d’espace libre, de quelque chose lui rappelant sa chère campagne.

Je suis venu à Paris, dit Gutzkow[2], pour voir les hommes célèbres de la France, pour me réjouir de la joie de son peuple, pour m’éprouver à sa douleur… J’ai déjà vu certaines choses, j’en verrai encore beaucoup, mais je dois avouer que, dès le premier pas que j’ai fait dans les rues, je fus hanté par la nostalgie de voir George Sand. Il est inutile qu’on observe que George Sand est le plus célèbre des poètes français vivants. Il est inutile qu’on admire ce qui serait intéressant pour tout le monde. La vue d’une femme qui surpasse par la profondeur de ses idées, par la poésie de ses tendances, par l’éclat de ses images tout ce qui pourrait rivaliser avec elle en France, la vue de cette femme doit charmer tout le monde, même les ennemis. Elle a écrit des œuvres qui ne sont qu’un repos après des œuvres sérieuses, mais ce n’est pas uniquement la perfection de ces créations qui nous attire vers elle. C’est le dévouement libre à une idée, c’est le sacrifice de tout égoïsme, même celui de tout préjugé et de toute tradition, ce sont les élans les plus nobles du sentiment. Elle vit retirée. Elle se dévoue à soigner le musicien Chopin qui est souffrant depuis plusieurs années. Elle craint la curiosité des importuns, qui admiraient en elle non la loi de la belle Nature, mais une exception à la règle. Et elle est parfaitement défiante envers les touristes. On l’a peinte et exposée en caricatures grotesques. On n’a pas respecté ses secrets, ses confidences. On lui avait demandé des audiences et puis attiré dans des sphères où nous sommes tous rien que des humains, on l’a trahie et livrée à la médisance des « Souvenirs de voyages ». Et pourtant je suis attiré vers elle. Je ne voudrais voir que le milieu où elle règne, connaître ce que regardent ses yeux lorsque, fatiguée par son travail, elle ouvre sa fenêtre pour rafraîchir sa poitrine par une bouffée d’air.

  1. Charles-Frédéric Gutzkow, poète dramatique et publiciste allemand célèbre, l’un des représentants de la « Jeune Allemagne », auteur de Uriel Acosta, etc. Né en 1811, il est mort en 1878.
  2. Dans sa Lettre de Paris du 29 mars 1842. Œuvres complètes de Charles Gutzkow, t. XII. Lettres parisiennes, 1842. Impressions parisiennes, 1846.