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pouvoir changer et qui, dans nos rêves de tendresse devait devenir une jeune fille parfaite. La jeune fille a fait notre intérieur cruel, la jeune femme nous a brisé le cœur, pardonnons-lui, mais n’espérons rien. Mais, vois-tu, la raison se fait dans les esprits qui la cherchent, et la vraie raison, ce n’est autre chose que le sentiment ferme de la justice. La raison et la justice m’ont donc amenée à ce point qu’il ne dépend plus de ma fille de me faire beaucoup de peine, c’est pour toi que je vis désormais, et je ne laisserai pas détruire ma santé et ma vie dont tu as besoin. N’espérant plus changer Solange, je ne la gronderai plus, je ne discuterai rien avec elle. Je ne lui permettrai ni justification, ni récriminations, je n’irai pas chez elle. Je ne veux pas me trouver en présence de gens à qui elle a fait de moi un portrait odieux et que, du moment qu’ils la voient, sont mes ennemis. Ça m’est égal d’avoir des ennemis, mais je ne vis qu’avec mes amis. Je la recevrai chez moi, à Paris, à une seule condition que je lui ai posée l’année dernière à pareille époque et dont je ne me départirai pas, elle le sait, inutile de la lui rappeler, c’est d’ailleurs moi que ça regarde, et tu n’as pas à faire le docteur avec elle. Tout ton rôle est de juger et de pardonner ce qui te concerne, mais de te tenir sur tes gardes sous tous les rapports possibles. Nous en reparlerons, c’est assez pour aujourd’hui. Brûle cette lettre, mais ne l’oublie pas. Le crime n’est pas toujours ce qu’on croit. Ce n’est pas un parti pris, une tendance fatale qui germe lentement chez des monstres. C’est un acte de délire le plus souvent, un mouvement de rage. Les catholiques attribuent cela au souffle du diable, c’était une métaphore fantastique qui caractérisait assez bien les mouvements terribles et imprévus de l’être humain. Avec des cerveaux mal organisés, et celui de Solange a un côté absent, tandis que celui de Clésinger est parfois complètement détraqué, on n’est jamais sûr de se trouver dans les conditions normales de la vie. Tout cela est triste à dire, mais il faut se l’être dit une fois pour n’y plus penser[1].

Ta Mère.

Nous trouvons indispensable aussi de citer les deux lettres suivantes : l’une de Solange à sa mère et la réponse de George Sand, inédites et inconnues ; lorsque cette réponse retomba entre les mains de Mme Sand, elle ne permit jamais qu’on la rendît à Solange, elle la confia plus tard à, Mme Maurice Sand (des mains de laquelle nous la tenons), avec l’ordre

  1. Nous omettons la dernière page de cette lettre consacrée en partie à des constructions exécutées alors au château, et nous peignant la solitude de Mme Sand à Nohant.