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Dans les toutes dernières lignes de cette lettre, nous trouvons une nouvelle preuve de sa parfaite modestie littéraire :

Tu ne m’as pas dit un mot d’Horace. Pour cela, je te permets de n’en penser de bien ni aujourd’hui, ni jamais. Tu sais que je ne tiens pas à mon génie littéraire. Si tu n’aimes pas ce roman, il faut ne pas te gêner de me le dire. Je voudrais te dédier quelque chose qui te plût et je reporterais la dédicace au produit d’une meilleure inspiration.

On voit que Duvernet avait tardé à écrire à George Sand son opinion sur ce roman, mais un autre de ses amis, Emmanuel Arago, s’empressa de lui écrire la très curieuse lettre que voici :

(Sans date ni adresse.)


Ma chère amie,

Tu as bien fait de penser que je n’ai pas pu me reconnaître, dans ton dernier roman, dans le personnage d’Horace. Je n’ai pas eu, tu dois le croire, la moindre idée de cette nature en lisant la Revue indépendante ; et si l’on a répandu à ce sujet quelques méchants propos, j’y suis, pour ce qui me concerne, tout à fait étranger.

Plusieurs personnes, il est vrai, m’ont dit, avant que j’aie ouvert ton livre : « Horace, c’est vous ; et cet Horace est un homme dont on se moque. » À celles-là j’ai répondu : « Je n’ai pas lu le roman, mais j’affirme que vous vous trompez ; vous avez cru me reconnaître là où l’auteur n’a pas voulu me peindre ; si donc j’étais assez petit pour trouver dans cette affaire matière à se fâcher, ce serait contre vous, non contre lui. » À ceux qui m’ont tenu le même langage depuis que, par la lecture de ton œuvre, j’ai ajouté la certitude matérielle à la conviction morale, je n’ai pas répondu du tout ; je leur ai ri au nez, je me suis amusé de leur badauderie et de leur béotisme.

Et tu me connais assez bien, n’est-ce pas, pour avoir été persuadée, avant cette explication, qu’on ne t’avait pas rapporté autre chose que de misérables cancans ; et je te connais assez, moi, pour ne jamais te croire capable d’une action peu digne, — non, ce n’est pas vainement qu’on a vécu ensemble et dans l’intimité la plus vraie pendant de longues années, ce n’est pas vainement, lorsqu’on a du cœur et de l’intelligence, qu’on s’est voué réciproquement et pour toute la vie une affection fraternelle.

Rappelle-toi ce que nous nous sommes dit un soir dans la mansarde