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Cette lettre est plus que curieuse, nous la citons intégralement, malgré sa longueur :


1er octobre 1844.

Chère amie, comme j’espère que votre sauté est toujours excellente, et qu’il en est de même de tous les habitants de Nouant, vous me permettrez de vous parler tout de suite d’affaires, après vous avoir dit néanmoins par forme de préambule qu’il faut être calme, si l’on n’est pas invulnérable, à l’endroit des affaires, à cause des contrariétés, dégoûts, et autres inconvénients qu’elles entraînent. Peut-être est-ce pour moi que je dis cela, afin de faire contre fortune bon cœur. Mais c’est aussi à votre intention, et pour que l’intérêt que vous me portez dans mes présentes traverses, comme dans toutes mes afflictions, ne vous occasionne pas plus de chagrin qu’il n’est convenable. Les poètes ont souvent dit qu’il suffit aux braves de montrer bonne contenance pour faire fuir la mauvaise fortune et surmonter tous les embarras. Au fond, je suis persuadé que bien des accidents où nous succombons ne viennent que de nos faiblesses. Vous m’aviez donné trois commissions qui me concernaient, ou plutôt vous m’aviez ouvert trois portes pour m’abriter.

1° Je me suis adressé à Veyret, en joignant à votre épître une lettre où je lui exprimais véritablement mes sentiments de gratitude et d’affection, tout en lui marquant pourquoi je n’allais pas le voir, et l’espèce de mur de séparation que le capital, en apparence mal employé qu’il a mis dans mon invention, établit entre nous, jusqu’à plus ample réussite, à cause de la différence de nos opinions sur le capital et sur beaucoup d’autres choses. J’ai reçu une réponse qui est un refus, et vous devez avoir, de votre côté, une réponse en harmonie avec celle qu’il m’a faite, si celle qu’il m’a faite est bien sincère. Il me dit qu’il m’est fort affectionné, qu’il voudrait m’aider dans mes efforts, mais que cela lui est impossible. Il m’est venu à ce sujet un scrupule depuis hier. François, comme vous savez, est l’ami intime de Veyret. J’ai vu hier François et me suis ouvert à lui sur cette démarche. François m’a dit que le refus de Veyret pouvait provenir du sentiment qu’il avait que vous dépensiez un argent inutile en m’aidant dans mes projets typographiques. Vous pouvez mieux juger que moi, par la lettre que vous avez reçue de Veyret, si tel est son motif. À ce propos, je vous dirai, chère amie, qu’il ne manque pas en effet de gens qui s’apitoient en ce moment sur vous, ou font semblant de s’apitoyer, à mon occasion, me jetant non seulement le blâme, mais plus que le blâme. Je vous dirai quand je voUs reverrai (j’espère que ce sera bientôt) ce que certaines personnes ont pris soin de me dire à ce sujet, pour me percer le cœur apparemment. Je me réfugie dans ma conscience et dans la vôtre.