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ment construite, au-dessus d’un petit bois d’orangers, qui occupait ce gradin de la montagne. Le gradin inférieur était rempli d’un beau berceau de vignes, le troisième d’amandiers et de palmiers, et ainsi de suite jusqu’au fond du vallon, qui, ainsi que je l’ai dit, était un immense jardin. Chaque parterre de cellule avait sur toute sa longueur à droite un réservoir en pierre de taille de trois à quatre pieds de large sur autant de profondeur, recevant, par des canaux pratiqués dans la balustrade de la terrasse, les eaux de la montagne et les déversant dans le parterre par une croix de pierre qui le coupait en quatre carrés égaux.

… Ce parterre, planté de grenadiers, de citronniers et d’orangers, entouré d’allées exhaussées en brique et ombragées, ainsi que le réservoir, de berceaux embaumés, c’était comme un joli salon de fleurs et de verdure[1].

Chopin écrit dans une lettre à Fontana, datée du 28 décembre 1838 :

Peux-tu m’imaginer ainsi : entre la mer et des montagnes dans une grande chartreuse délaissée, dans une cellule aux portes plus grandes que celles de Paris… point frisé[2], point ganté de blanc, mais pâle comme à l’ordinaire. La cellule ressemble à une bière, elle est haute, au plafond poussiéreux. Les fenêtres sont petites ; devant elles des orangers, des palmiers et des cyprès ; mon lit est placé en face des fenêtres, sous une rosace mauresque filigranée. À côté du lit, quelque chose de carré ressemblant à un bureau, mais l’usage en est fort problématique ; dessus un lourd chandelier (c’est un grand luxe) avec une toute petite chandelle. Les œuvres de Bach, mes esquisses et des manuscrits qui ne sont pas de moi, — voilà tout mon mobilier. Un calme absolu… on peut crier bien fort, sans que personne vous entende ; bref, je t’écris d’un lieu bien étrange…

L’Hiver à Majorque donne d’amples détails sur ce mobilier.

Nous avions un mobilier splendide : des lits de sangle irréprochables, des matelas peu mollets, plus chers qu’à Paris, mais neufs et propres, et de ces grands et excellents couvre-pieds en indienne ouatée et piquée que les juifs vendent assez bon marché à Palma. Une dame

  1. Un hiver à Majorque, p. 129.
  2. Ces mots nous expliquent parfaitement pourquoi nous voyons sur le dessin de George Sand Chopin représenté comme ayant de longs cheveux flasques retombant des deux côtés des joues et peignés en arrière, tandis que tous ses autres portraits le représentent la tête bouclée et une grande « coque » au-dessus du front.